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Qui a recruté l’assassin qui devait tuer Bran Stark ?

Bran Stark, par Victor Garcia, pour Fantasy Flight Games ; montage Nymphadora

Qui a recruté l’assassin qui devait tuer Bran, et quelles étaient ses motivations ?
Parmi les nombreux mystères de la saga, celui-ci est résolu depuis l’intégrale 3 (ASOS) : c’est Joffrey qui est à l’origine de cette tentative de meurtre.
Mais pourquoi ? Décryptage des indices.

Contexte

Bran à Winterfell, par Marc Simonetti.

Bran à Winterfell, par Marc Simonetti.

Souvenez-vous… Nous sommes au tout début de la saga du Trône de Fer. Alors que Bran escalade la grande tour de Winterfell, il surprend Cersei et Jaime Lannister en pleins ébats. Jaime le pousse dans le vide afin qu’il ne puisse rien raconter de ce qu’il a vu. Bran survit pourtant miraculeusement, mais reste plongé dans un coma profond pendant des semaines.

Un soir, alors que Catelyn veille son fils après que le roi Robert et sa suite ont quitté Winterfell, un incendie se déclare dans la bibliothèque. Un inconnu profite de la confusion pour tenter d’assassiner Bran avec un poignard dont la lame est en acier valyrien et le manche en os de dragon. Catelyn s’interpose, mais elle n’est sauvée que par l’intervention du loup de Bran, qui égorge l’agresseur.

La seconde tentative d'assassinat de Bran (A Game of Thrones - illustrated édition)

La seconde tentative d’assassinat de Bran (Victor Manuel Leza Moreno, A Game of Thrones – illustrated édition)

Qui est à l’origine de cette deuxième tentative de meurtre sur Bran ? Tyrion d’un côté, puis Jaime et Cersei de l’autre, arrivent à la conclusion que ce ne peut être que Joffrey. Cinq passages différents sont consacrés à la résolution de ce mystère dans l’intégrale 3 (ASOS) :

  • Tyrion, à la remise des cadeaux juste avant le mariage de Joffrey, comprend cela quand Joffrey, épée en main, évoque l’acier valyrien. Et la réaction de Joffrey quand Tyrion évoque un poignard en acier valyrien confirme son intuition.

« Que Votre Majesté prenne garde, avertit ser Addam Marpheux. Rien ne résiste au tranchant de l’acier valyrien.
— Me rappelle. » A deux mains, Joffrey abattit sauvagement Pleurs-de-Veuve sur le livre que Tyrion lui avait offert. Le coup fendit la reliure de cuir massif. « Tranchant ! Je vous l’ai dit, ça me connaît, moi, l’acier valyrien.
(…)
« Vous et lady Sansa me devez un présent plus présentable, Oncle Lutin. Celui-ci est tout en miettes. » Tyrion dévisageait fixement son neveu de ses yeux vairons. « Peut-être un poignard, Sire. Qui soit assorti avec votre épée. Un poignard de ce même acier valyrien merveilleux…, disons avec un manche en os de dragon ? »
Joffrey lui décocha un regard aigu. « Vous… oui, un poignard assorti avec mon épée, bon. » Il hocha la tête. « Le… En or, le manche, serti de rubis. C’est trop ordinaire, l’os de dragon. »

[Intégrale 3 (ASOS) – Sansa IV ]

Nous sommes alors dans un chapitre de Sansa, sans les pensées de Tyrion, mais Tyrion revient sur le sujet peu après, dans le même chapitre, quand il interroge Sansa sur les relations entre Bran et Joffrey. Et au chapitre suivant, Tyrion se remémore la discussion entre Joffrey et Sandor Clegane à Winterfell (#scène2, dont nous allons parler ci-dessous).

« Ça me connaît, moi, l’acier valyrien », s’était vanté le mioche. Les septons n’arrêtaient pas de vous seriner la rengaine sur le Père d’En-Haut qui nous juge tous. S’il avait seulement la bonté de chavirer, le Père, et d’écrabouiller Joff, là, comme un fouille-merde, bon, peut-être que j’y croirais.
Il aurait dû piger tout ça depuis longtemps. Homme à envoyer quelqu’un d’autre tuer à sa place, Jaime ? Jamais de la vie ! Et Cersei était trop maligne, elle, pour utiliser un poignard grâce auquel on pourrait remonter jusqu’à elle, alors que Joff, en petit salopard arrogant vicelard bouché qu’il était…
Le souvenir lui revint de ce matin froid où, descendant l’escalier si raide, à l’extérieur de la bibliothèque de Winterfell, il était tombé sur le prince en train de blaguer avec le Limier à propos de loups à éliminer. Envoyer un chien s’en charger, il disait. N’empêche que même Joffrey n’était pas bête au point de donner l’ordre à Sandor Clegane d’assassiner un fils d’Eddard Stark ; le Limier serait allé de ce pas voir Cersei. Le mioche avait plutôt dû recruter son tueur dans la ragoûtante racaille de francs-coureurs, de parasites et de trafiquants qui n’avait cessé de venir tout du long jusqu’au nord s’agglutiner au cortège royal. Quelque imbécile vérolé tout prêt à risquer sa vie pour une faveur princière et quelques liards. Tyrion se demanda qui pouvait bien avoir eu l’idée d’attendre pour égorger Bran que Robert eût quitté Winterfell. Joff, selon toute probabilité. Sans doute aura-t-il vu là le comble de l’astuce.
Son poignard personnel avait, crut se rappeler Tyrion, des pierreries sur le pommeau et des incrustations d’or sur la lame. Au moins n’avait-il pas poussé la stupidité jusqu’à faire servir celui-là. Il était allé piocher parmi ceux de son père. Il lui aurait certes suffi d’en demander un, n’importe lequel, pour qu’avec l’aveugle prodigalité qui le caractérisait celui-ci le lui donne…, mais Tyrion le soupçonnait de l’avoir tout bonnement fauché. Robert s’était fait suivre à Winterfell d’une foultitude de chevaliers et de domestiques, d’une roulotte monumentale et de tout un fourbi de bagages. Il ne faisait guère de doute que quelque serviteur zélé s’était assuré d’embarquer tout l’arsenal du roi, pour le cas où il prendrait fantaisie à Sa Majesté d’arborer telle ou telle dague.
Le choix de Joff s’était porté sur un beau joujou tout simplet. Point de rinceaux d’or ni de pierreries sur la garde, non plus que de niellures d’argent sur la lame. Robert ne s’en servait jamais, il avait même probablement oublié qu’il le possédait. Mais l’acier valyrien avait un de ces tranchants…, un tranchant mortel, idéal pour ouvrir en un clin d’œil, d’un petit coup preste, peau, chair, muscles, là. « Ça me connaît, moi, l’acier valyrien »…. Mais c’était exactement la preuve du contraire, non ? Sans quoi jamais il n’aurait commis la folie de jeter son dévolu sur le poignard de Littlefinger… !
Restait que le pourquoi se dérobait encore. Par pure cruauté, peut-être ? A cet égard, son neveu était abondamment pourvu.

[Intégrale 3 (ASOS) – Tyrion VII]

  • Cersei et Jaime arrivent également à la conclusion que Joffrey est à l’origine de cette tentative de meurtre (#scène3, discutée ci-dessous), et Jaime envisage même que c’est ce qui expliquerait pourquoi Tyrion aurait assassiné Joffrey, vu que Tyrion a failli mourir dans les geôles des Eyrié à cause de cette histoire.
  • Enfin, Jaime et Tyrion discutent brièvement une dernière fois de cela, lors de l’évasion de Tyrion.

Mais, si la culpabilité de Joffrey ne fait guère de doute, son mobile est plus difficile à cerner. Jaime y voit « l’envie d’impressionner Robert Baratheon ». Tyrion, qui a moins d’informations, envisage un geste de « pure cruauté ».

Pour comprendre pourquoi Joffrey a commandité ce meurtre, il faut reprendre le texte, remettre les éléments connus dans l’ordre chronologique, et se placer du point de vue de ce « petit salopard arrogant vicelard bouché » qu’est Joffrey.

Scène 1 : Joffrey veut prouver qu’il est un homme

Joffrey à Winterfell (A game of thrones illustrated édition)

Joffrey à Winterfell (Magali Villeneuve, A Game of Thrones – illustrated édition)

Joffrey veut prouver sa virilité, prouver qu’il n’est plus un enfant, et se battre avec de vraies armes. On le voit dès le premier chapitre d’Arya, dans l’intégrale 1 (AGOT) :

Tout en rentrant dans le soleil où sa chevelure prit un éclat d’ors martelés, Joffrey maugréa : « Vous nous prenez pour des gamins, ser Rodrik… »
[…]
« Que préconisez-vous donc, prince ?
— Un combat réel.
— Soit ! approuva Robb, et vous vous en repentirez ! » Dans l’espoir de le rendre plus raisonnable, ser Rodrik lui posa la main sur l’épaule : « Trop dangereux. A fleurets mouchetés, voilà tout ce que je puis tolérer. » Par son mutisme, Joffrey semblait consentir quand un imposant chevalier, noir de poil et défiguré par des cicatrices brunes, fendit brusquement la presse. « Qui êtes-vous donc, ser, pour oser moucheter l’épée de votre prince ?
— Le maître d’armes de Winterfell, et je vous saurais gré de vous en souvenir, Clegane.
— Entraînez-vous des femmelettes ? ironisa l’autre, en faisant rouler ses muscles de taureau.
— J’entraîne des chevaliers, répliqua Rodrik, mordant. Ils manieront l’acier lorsqu’ils seront prêts. Lorsqu’ils auront l’âge.
— Quel âge as-tu, mon garçon ? demanda la face calcinée, interpellant Robb.
— Quatorze ans.
— J’en avais douze quand je tuai mon premier adversaire. Et pas avec une épée postiche, tu peux m’en croire. »
[…]
Sur un bâillement simulé, Joffrey héla son petit frère : « Tu viens, Tommen ? Assez joué. Laisse ces gosses à leur récréation. »

[Intégrale 1 (AGOT) – Arya I]

Et apparemment, c’est Sandor Clegane qui lui a mis dans la tête qu’il était suffisamment grand pour jouer avec de l’acier, on le voit dans la citation ci-dessus, mais aussi dans celle qui doit être prononcée pour la première fois aussi au cours de cette scène, et qui est rapportée beaucoup plus tard, à Port-Réal :

« Mes souvenirs de lui [Robb] datent de Winterfell. Mon chien l’appelait « le lord à l’épée de bois ». N’est-ce pas, Chien ?
— Ah bon ? répliqua le Limier. J’ai complètement oublié. »

[Intégrale 1 (AGOT) – Sansa VI]

L’avis de Sandor Clegane est donc important pour Joffrey. Plusieurs personnages nous rappellent d’ailleurs au cours de la saga que ces deux-là sont proches, même si leur relation est étrange (elle est en fait quelque part entre meilleur et seul ami, père de substitution, et chien à qui on refile une fois un os, une fois un coup de pied). Et Joffrey doit avoir hâte de tuer quelqu’un, de prouver qu’il n’est ni un enfant, ni une femme : il est déjà en retard par rapport au Limier, qui a tué son premier homme à 12 ans !

Scène 2 : Joffrey est humilié par Tyrion à cause de Bran

Tyrion frappe Joffrey, par MKage.

Tyrion frappe Joffrey, par MKage.

On passe ensuite au tout premier chapitre de Tyrion, toujours dans l’intégrale 1 (AGOT). Et on voit, dans l’ordre :

  • Tyrion qui sort de la bibliothèque des Stark.
  • Tyrion qui surprend Joffrey et Sandor en train de parler de Bran. Sandor se plaint que Bran met trop de temps à mourir. Joffrey répond que le loup de Bran l’empêche de dormir. Sandor propose d’aller tuer « la créature ». Et dès la réponse suivante de Joffrey, la confusion entre « Stark » et « loups » est faite.

L’âpre voix de Sandor Clegane monta du fond de la cour jusqu’à lui. « Il en met un temps à mourir, ce gosse ! J’espérais qu’il se dépêcherait davantage. » D’un coup d’œil, Tyrion distingua le Limier qui, en compagnie de Joffrey, se tenait au milieu d’un essaim d’écuyers. « Du moins meurt-il en silence, ronchonna le prince. C’est le loup qui fait ce boucan. Je n’ai presque pas fermé l’œil, cette nuit. »
Comme on le coiffait de son heaume noir, l’ombre de Clegane se projeta sur la terre battue. « Je peux le faire taire, si vous voulez… », dit-il à visière ouverte. On lui remit son épée dont il évalua le poids en tranchant vivement l’espace. Derrière lui, la cour retentissait du fracas de l’acier. Le prince se montra enchanté de l’offre. « Envoyer un chien tuer un chien ! s’exclama-t-il. Winterfell est tellement infesté de loups que les Stark ne s’apercevront même pas qu’il en manque un. »

[Intégrale 1 (AGOT) – Tyrion I]

Puis Tyrion arrive, et humilie grandement Joffrey en public (plusieurs écuyers sont présents, et il y avait déjà plusieurs écuyers et hommes plus âgés autour de Sandor et Joffrey, qui riaient aux blagues du prince, dans le chapitre d’Arya). Il lui met deux claques, et lui donne l’ordre d’aller se traîner à genoux devant les parents Stark.

« Vous auriez dû depuis longtemps, Joffrey, vous rendre auprès de lord et lady Stark pour les assurer de votre sympathie.
— Ma sympathie ? riposta Joffrey, de l’air grognon que seuls savent prendre les petits princes, elle leur ferait une belle jambe !
— Certes. N’empêche que la démarche s’imposait. Votre abstention a été remarquée.
— Le petit Stark ne m’est strictement rien. Puis je ne puis souffrir les femmes qui pleurnichent. » Lancée à toute volée, une gifle lui empourpra la joue. « Un mot de plus, et je t’en flanque une seconde, promit Tyrion.
— Je vais le dire à Mère ! » glapit Joffrey. Une nouvelle gifle lui empourpra l’autre joue. « Dis-le-lui. Mais, d’abord, va trouver lord et lady Stark, tombe à leurs genoux, présente-leur tes plus plates excuses en les assurant qu’eux et les leurs, en ces heures atroces, n’ont pas de serviteur plus dévoué que toi, que tu pries de toute ton âme avec eux. Compris ? Oui ? »
Le garçon semblait sur le point d’éclater en sanglots. Il esquissa un signe d’acquiescement puis se précipita hors de la cour en se tâtant la joue. Tyrion le regarda s’enfuir puis, tout assombri, se tourna vers Clegane que son imposante stature faisait ressembler à une falaise. Son armure d’un noir de suie semblait annuler le soleil. Il avait rabattu sa visière. Son heaume, qui reproduisait une gueule de limier hargneux, avait un aspect terrible mais, depuis toujours, Tyrion lui trouvait une hideur infiniment moindre qu’au mufle calciné dessous.
« Le prince n’oubliera pas ça, mon petit seigneur, l’avertit Clegane dont la coiffe de fer transforma le rire en un grondement caverneux.
— C’est mon vœu le plus cher, riposta Tyrion. Dans le cas contraire, sois assez bon chien pour lui rafraîchir la mémoire. »

[Intégrale 1 (AGOT) – Tyrion I]

Toute cette scène est une humiliation totale pour Joffrey, et c’est probablement ce qui va le pousser à commanditer le meurtre de Bran. Autant que « l’envie d’impressionner Robert » qu’évoque Jaime, ce serait « l’envie de se venger de Tyrion » qui aurait motivé Joffrey.

Scène 3 : Joffrey entend Robert et Cersei dire que Bran devrait être achevé

Cette scène ne nous est rapportée que beaucoup plus tard, dans l’intégrale 3 (ASOS), mais elle a lieu lors du séjour à Winterfell, après la chute de Bran.

Joffrey entend ses parents discuter, et dire que tuer Bran serait, quelque part, une bonne action, mais que personne n’a le courage de le faire.

« Oui, j’espérais que le gosse mourrait. Toi aussi. Jusqu’à Robert qui trouvait que ça vaudrait mieux. « Nous tuons nos chevaux quand ils se cassent une jambe, nous tuons nos chiens quand ils deviennent aveugles, mais nous sommes trop pusillanimes pour accorder la même grâce à des gosses estropiés », m’a-t-il dit. Dans un moment, je te signale, où il était lui-même aveugle… d’avoir trop bu. »
Robert ? Jaime avait suffisamment monté sa garde auprès de lui pour savoir que Robert Baratheon vous balançait des trucs, quand il était saoul, qu’il aurait furieusement niés le lendemain. « Vous étiez seuls quand il a dit ça ?
— Tu ne te figures quand même pas qu’il l’a dit à Ned Stark, j’espère ? Bien sûr que nous étions seuls. Nous et les enfants. » Cersei retira sa résille, la déposa sur l’un des montants du lit puis secoua ses boucles d’or. « C’est peut-être bien Myrcella qui a dépêché ce sbire avec le poignard, tu ne penses pas ? »
Cela se voulait une raillerie, mais elle avait mis dans le mille, Jaime le vit instantanément. « Pas Myrcella. Joffrey. » Cersei fronça les sourcils. « Joffrey n’aimait pas Robb Stark, mais le cadet ne lui était rien. Il n’était lui-même qu’un gosse.
— Un gosse affamé de se faire tapoter la tête par le poivrot que tu lui faisais passer pour son père. » Une idée lui traversa l’esprit, une idée pénible. « Tyrion a failli périr, à cause de ce maudit poignard. S’il savait que toute l’affaire était imputable à Joffrey, ça pourrait expliquer pourquoi… »

[Intégrale 3 (ASOS) – Jaime IX]

Scène 4 : la tentative d’assassinat

A Winterfell, Tyrion passe son temps à la bibliothèque.

A Winterfell, Tyrion passe son temps à la bibliothèque.

Celle-ci commence par l’incendie de la bibliothèque. Donc pas n’importe quel bâtiment, mais le bâtiment dans lequel Tyrion passait tout son temps à Winterfell ; et l’on sait que Joffrey n’a que faire des livres, pourtant précieux puisqu’il détruit sans raison un livre rare que Tyrion lui offre à son mariage. En fait, on peut penser que Joffrey accomplit là une double vengeance envers Tyrion : détruire la bibliothèque, tout comme il détruit le livre que Tyrion lui offre à son anniversaire, et tuer Bran, qui est à l’origine de son humiliation et qui, en plus, l’a empêché de dormir ! L’incendie sert de diversion pour pouvoir atteindre Bran, mais était peut-être donc aussi un objectif en soi.

Il y a ensuite les paroles de l’assassin à Catelyn, à propos de Bran :

« C’ lui faire grâce. L’est d’jà mort. »

[Intégrale 1 (AGOT), Catelyn III]

Paroles, donc, qui répètent les propos de Robert et de Sandor Clegane. La clé de cette tentative de meurtre est là : Joffrey, humilié à cause de Bran, décide de le supprimer, à la fois pour se venger de Bran et de Tyrion, mais aussi parce que cela lui permet de tester son pouvoir de vie et de mort sur quelqu’un qui, quelque part, est déjà mort.

L’arme : un indice supplémentaire

Enfin, regardons l’arme utilisée. Elle ressemble à un couteau ordinaire et sans valeur aux yeux des profanes, comme l’est Joffrey à ce moment-là de l’histoire, et l’assassin également. Elle n’a ni décoration ouvragée, ni matériau précieux, pas de pierre précieuse, ni d’or ni d’argent. C’est du métal et de l’os, un couteau de sauvage. Sauf que c’est en fait de l’acier valyrien et de l’os de dragon, deux matériaux extrêmement nobles et rares, mais que les profanes ne savent pas reconnaître.

Tywin Lannister n’arrive jamais à acheter d’épée en acier valyrien, quel que soit le prix qu’il y mette. Du coup, ce poignard vaut à lui seul un château, bien plus que les 90 cerfs d’argent que l’on retrouve à l’endroit où le tueur dormait. Cela veut aussi dire que n’importe qui n’a pas pu le prendre dans les affaires de Robert. Mais ça colle avec Joffrey, qui lui, a parfaitement le droit de farfouiller dans les coffres de la famille royale sans qu’on ne lui dise rien. Tout comme Tyrion aurait parfaitement pu se servir dans les armoires royales s’il avait eu envie d’un couteau, comme le lui dit Tywin :

« S’il te faut un poignard, prends-en un à l’armurerie. Robert en a laissé une centaine, à sa mort. Comme Gerion lui avait offert pour présent de noce un poignard doré à manche d’ivoire et pommeau de saphir, la moitié des ambassadeurs qui se présentèrent à la Cour crurent se faire bien voir de Sa Majesté en L’inondant de couteaux sertis de pierreries et d’épées niellées d’argent. »
Tyrion se mit à sourire. « Ils L’auraient davantage séduite en l’enfouissant sous leurs filles.
— Sûrement. Il n’a jamais utilisé d’autre poignard que le coutelas de chasse offert par Jon Arryn quand il était gamin. »

[Intégrale 3 (ASOS) – Tyrion IV]

Et ça colle aussi avec l’intérêt de Joffrey pour les armes « bling-bling », et son désintérêt, jusqu’à l’intégrale 3 (ASOS), pour l’acier valyrien. L’acier valyrien est reconnaissable… pour qui en a déjà vu de près et s’est intéressé à la question. Si Jon, par exemple, reconnait tout de suite que Grand-Griffe est en acier Valyrien, c’est parce qu’il a souvent eu Glace en main avant.

« C’est de l’acier valyrien, messire », s’émerveilla Jon. Père lui avait suffisamment fait les honneurs de Glace pour qu’il reconnût la sensation, l’aspect.

[Intégrale 1 (AGOT) – Jon VIII]

Joffrey, en revanche, n’a apparemment jamais tenu d’acier valyrien en main avant de choisir ce poignard, qui lui semble ordinaire. Lui préfère les armes brillantes et tapageuses : sa première épée, Dent-de-Lion, est en acier bleu miroitant, avec un pommeau d’or avec une tête de lion. Sa seconde épée, Mangecœur, a le pommeau orné d’un rubis taillé en forme de cœur, enserré dans la mâchoire d’un lion. Et elle a une lame en acier normal. À ce moment de l’histoire, Ned Stark est déjà mort depuis longtemps, mais Glace, son épée en acier valyrien, n’a pas été récupérée par Joffrey : elle est bien trop énorme pour lui, et elle n’a que peu de décoration. C’est Ilyn Payne, un « simple exécuteur », qui se l’approprie. Il faut attendre l’arrivée de Tywin à Port-Réal pour qu’il la lui reprenne pour la faire fondre en deux nouvelles épées, dont une qu’il prévoit d’offrir à Joffrey. Ilyn Payne récupère en échange une épée « bling-bling » au possible : un gigantesque estramaçon avec des runes en argent sur la lame, et un gros crâne grimaçant en obsidienne entouré de rubis sur le pommeau. On peut imaginer que Tywin a expliqué à Joffrey ce qu’est l’acier valyrien avant de lui offrir l’épée en public.

Joffrey Baratheon Fantasy Flight Games)

Joffrey Baratheon (Joshua Cairós, Fantasy Flight Games)

Le plus probable est que Joffrey n’a donc pas compris, en prenant le poignard au début du roman, qu’il s’agissait d’acier valyrien. Au contraire, il a pris le couteau le plus pourri dans l’armoire à couteaux, en se disant justement que cette arme n’attirerait pas l’attention. Contrairement aux enfants Stark, qui ont Glace sous les yeux depuis leur naissance, les enfants Lannister n’ont en fait pas forcément vu d’arme en acier valyrien, ou, s’ils en ont vu, c’est à la cour, au milieu de tant d’autres babioles d’or et de pierres précieuses qu’il n’y font plus attention. Et c’est seulement plus tard que Joffrey se rend compte de sa gaffe.

En résumé

Joffrey fait tuer Bran :

  • parce qu’il a mal dormi à cause des hurlements de son loup,
  • parce que c’est une occasion pour lui de se prouver à lui-même qu’il est « un grand qui joue avec de l’acier »,
  • parce que ça lui permettra ensuite de pouvoir dire qu’il « a tué (fait tuer) son premier homme à 13 ans »,
  • parce que cela fait de lui « quelqu’un qui a le courage de faire ce que même le roi son père ne fait pas »,
  • parce que « quelque part c’est un geste de gentillesse, l’autre il est quasi mort de toute façon »,
  • et surtout parce que Tyrion l’a obligé à aller présenter ses condoléances aux parents Stark, et que du coup cela lui permet de se venger de cette humiliation.

Un mélange de rage et d’envie parfaitement compatible avec le caractère de ce « petit salopard arrogant vicelard bouché » qu’est Joffrey, surtout à ce moment là de l’histoire, quand il rumine sa rage après l’humiliation publique infligée par Tyrion.

Sandor Clegane, complice caché ?

Joffrey et le Limier, par Daniel Johnson.

Joffrey et le Limier, par Daniel Johnson.

Un dernier point à étudier : le rôle de Sandor Clegane dans tout cela. Comme nous l’avons vu dans les extraits précédents, il semble assez clair qu’il a de l’influence sur Joffrey, et qu’il l’influence à commanditer ce meurtre, sans doute sans le vouloir vraiment.

Est-ce qu’il a fait plus ? Beaucoup d’indices dans le texte peuvent laisser croire que Sandor aurait été parfaitement en accord avec l’idée de tuer Bran si Joffrey lui en donnait l’ordre :

  • il n’a aucun problème à tuer des enfants, et ça le fait même rire (voir le cas Mycah),
  • il n’a pas non plus peur de menacer de tuer des enfants de puissants, vu qu’il menace de tuer Sansa après lui avoir révélé comment son visage a été brûlé,
  • le Limier applique tous les ordres de Joffrey, même les plus stupides et dangereux, genre « Va me chercher le type qui vient de me jeter de la bouse à la figure, et tue tous ces gens énervés qui te barrent le chemin »,
  • Sandor est handicapé, déteste cela, et par ricochet semble détester tous les handicapés : Tyrion, Falyse… Et donc, Bran (et cela est à ajouter au dossier « L’influence de Sandor sur Joffrey »),
  • la « philosophie » du Limier, c’est « Les chevaliers, c’est fait pour tuer », « Je suis là pour obéir aux ordres », et « Si tu ne peux pas te défendre seul, meurs et laisse la place à ceux qui savent se débrouiller »,
  • quand Tyrion envisage d’emmener Joffrey au bordel, il se fait la réflexion que le plus dur sera d’écarter Sandor, qui n’est jamais loin de lui,
  • Sandor n’a pas, non plus, oublié Bran, il parle de lui à Sansa quand elle pense à se suicider,
  • la scène des claques avec Tyrion est également une humiliation pour Sandor, qui ne peut pas remplir son rôle de garde du corps de Joffrey, ici, vu que Tyrion est protégé par son statut ; et Sandor déteste Tyrion avant même cette scène, et ça ne va s’arranger tout au long de la saga. Donc il n’aura probablement pas tenté de calmer Joffrey après cette scène,
  • et enfin, comme le dit lui-même Sandor quand il est questionné par la Fraternité Sans Bannière, son rôle n’est pas de questionner les ordres des princes.

Mais si Sandor Clegane avait participé à ce meurtre, il aurait plusieurs occasions, dans l’intégrale 3 (ASOS), de l’avouer (le procès face à Dondarrion avec Arya qui l’accuse d’avoir tué Mycah, le moment où, mourant, il essaye d’énerver Arya pour qu’elle l’achève et lui rappelle justement ce meurtre pour la provoquer…). Et jamais il ne le fait.

Et finalement, George R.R. Martin met même dans les pensées de Tyrion une forme d’absolution du Limier :

N’empêche que même Joffrey n’était pas bête au point de donner l’ordre à Sandor Clegane d’assassiner un fils d’Eddard Stark ; le Limier serait allé de ce pas voir Cersei.

[Intégrale 3 (ASOS) – Tyrion VII]

En l’état actuel de nos connaissances, il faut donc partir de l’idée que Joffrey est allé lui-même recruter l’assassin et n’est pas passé par l’entremise de Sandor Clegane (si cela n’est pas le cas, nous aurons peut-être à l’avenir plus d’informations, lors d’une confession de Sandor par exemple). D’un autre côté, vu que dans les deux premières scènes citées ci-dessus, il y a à chaque fois des figurants, écuyers ou palefreniers ou autres courtisans d’occasion, qui rient aux blagues de Joffrey, il ne lui était sans doute pas très compliqué de trouver un assassin parmi ces courtisans trop heureux de fréquenter un prince.

Les autres théories (et pourquoi elles ne marchent pas)

Les fans adorent inventer mille théories à la limite de la fanfiction, surtout quand la réponse donnée par George R. R. Martin ne leur paraît pas satisfaisante.

Parmi les commanditaires potentiels de cet assassinat raté, on trouve souvent Petyr Baelish, Cersei ou Jaime Lannister, et Mance Rayder. Mais ces hypothèses ne tiennent pas vraiment la route :

  • Petyr Baelish est à Port-Réal, et n’a pas les moyens d’influencer sur la situation de si loin, d’armer quelqu’un avec une lame qui en plus lui a appartenu jadis mais plus aujourd’hui.
  • Cersei et Jaime, s’ils ont un mobile, sont innocents de cela vu qu’ils se demandent eux-mêmes qui a tenté de tuer Bran la seconde fois.
  • Quant à Mance Rayder, comment un sauvageon déguisé en barde aurait-il pu s’approcher suffisamment près des quartiers du roi pour dérober une dague en acier valyrien ?

De plus, l’accumulation d’indices textuels qui passent inaperçus dans un premier temps, mais sont logiques en seconde lecture, montre clairement que George R. R. Martin a monté son intrigue dans un seul but : faire de Joffrey le coupable de cet acte.

La confirmation de George R.R. Martin

Ultime argument : GRRM a lui-même déclaré que la solution de l’énigme se trouvait dans ASOS (l’intégrale 3 en VF).

You should know that even after all this time, we’re still debating things like who was behind the assassination attempt on Bran. Not to mention trying to figure out the four weddings, four trials, and two funeral.

The problem with all this speculating is that some of you are bound to guess the answers before I reveal ’em… and others may even come up with better answers than I do. Well, those are the risks one takes with such a project.

I will tell you that ASOS will resolve the question of Bran and the dagger, and also that of Jon Arryn’s killer.

Il faut que vous sachiez qu’après tout ce temps, nous débattons encore de certaines choses, comme la question de savoir qui était derrière la tentative d’assassinat de Bran. Sans parler des quatre mariages, des quatre procès, et des deux funérailles.
Le problèmes avec toutes ces spéculations, c’est que certains d’entre vous vont certainement deviner les réponses avant même que je les révèle… Et que d’autres peuvent même inventer de meilleures réponses que moi! Mais bon, ce sont les risques sur ce type de projet. Ce que je peux vous dire, c’est que A Storm of Sword (l’Intégrale 3) va résoudre la question de Bran et de la dague, ainsi que celle du meurtrier de Jon Arryn. [Notre traduction]

Et précisément, beaucoup des éléments en faveur de la culpabilité de Joffrey relevés ci-dessus se trouvent dans ce volume. Il parait donc clair qu’il n’y a pas à attendre de nouvelles révélations en la matière, et que le lecteur a toutes les pièces du puzzle.

Et dans la série ?

La dague servant à la tentative d'assassinat contre Bran Stark dans la série.

La dague servant à la tentative d’assassinat contre Bran Stark dans la série (crédits : HBO).

On ne le répétera jamais assez, les livres et la série ont des trames et des canons différents, et au fil du temps les deux histoires ont considérablement divergé. Néanmoins, leur point de départ est le même, et ce mystère est l’un des premiers présentés aussi bien au lecteur qu’au spectateur, et est dépeint sensiblement de la même façon dans les deux médias.
Mais la conclusion de l’enquête est différente : dans la série, c’est finalement Petyr Baelish, dit Littlefinger, qu’Arya accuse de cette tentative de meurtre (dernier épisode de la saison 7).

Mais Vanity Fair a récemment exhumé le dernier script écrit par George R. R. Martin pour la série, en 2014, celui de l’épisode Le Lion et La Rose (l’épisode du mariage de Joffrey Baratheon, en saison 4). Et ce script se révèle particulièrement intéressant, car bon nombre d’éléments voulus par George R. R. Martin ont été purement et simplement rayés par les showrunners. Parmi ceux-ci, plusieurs éléments et dialogues reprenant les indices des livres décrits plus haut dans cet article, et des directions d’acteurs de George R. R. Martin indiquant sans conteste que, dans son idée, le coupable est Joffrey :

In Martin’s version of the script, which expands on the implications of his novel, the culprit is clearly supposed to be Joffrey. When he receives a sword from his father as a wedding gift, Joffrey publicly boasts, “I am no stranger to Valyrian steel.” Martin then writes: “That chance remark means something Tyrion; we see it on his face. Before he can react, however, Joffrey brings the blade down in a savage two-handed cut on the book that Tyrion had given him.”

In Martin’s script, Tyrion doesn’t keep his suspicions to himself, either. After he comes to the “dangerous realization” that his nephew tried to have Bran Stark killed, Tyrion says: “Perhaps Your Grace would sooner have a dagger to match his sword. A dagger of Valyrian steel… and a dragonbone hilt. Your father had a knife like that, I believe.” Martin writes that Tyrion’s words “strike home,” and the king becomes “FLUSTERED” as he responds with “guilt” on his face: “You… I mean… my father’s knife was stolen at Winterfell… those Northmen are all thieves.” Then, to underline it all, Martin concludes in his stage directions: “Tyrion’s eyes never leaving the king. It has just fallen into place for him. It was Joffrey who sent the catspaw to kill Bran, the crime that started the whole war. But now that he knows, what can he do about it?”

Tyrion is later tempted to tell his wife, Sansa, what he’s figured out, but decides instead to answer her innocent question about whether Joffrey might enjoy a dagger with a double entendre: “It would certainly please me to give him one,” Tyrion says. Had this made it to the screen, it would have helped explain why Joffrey is so publicly monstrous to his uncle at his wedding, and also set up Tyrion as a more credible suspect in the Joffrey poisoning plot—he threatened the boy just that morning.
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Traduction de La Garde de Nuit :

Dans la version du scénario par Martin, qui développe les implications de son roman, le coupable est clairement censé être Joffrey. Quand il reçoit une épée de son père comme cadeau de mariage, Joffrey se vante publiquement : « Je ne suis pas étranger à l’acier valyrien ». Martin écrit alors : « Cette remarque fortuite signifie quelque chose pour Tyrion ; on le voit sur son visage. Cependant, avant qu’il ne puisse réagir, Joffrey abaisse la lame dans un violent coup assené à deux mains sur le livre que Tyrion lui avait donné. »

Dans le script de Martin, Tyrion ne garde pas non plus ses soupçons pour lui. Après avoir réalisé que son neveu avait tenté de faire tuer Bran Stark, Tyrion dit : « Peut-être que Votre Grâce aurait préféré avoir un poignard de même facture que son épée. Un poignard d’acier valyrien… avec un manche en os de dragon. Votre père avait un couteau comme ça, je crois. » Martin écrit que les mots de Tyrion « touchent leur cible », et le roi devient « ÉNERVÉ » comme il répond avec un air « coupable » : « Vous… Je veux dire… le couteau de mon père a été volé à Winterfell… ces Nordiens sont tous des voleurs. » Puis, pour souligner le tout, Martin conclut dans ses indications de mise en scène : « Les yeux de Tyrion ne quittent jamais le roi. Tout vient de se mettre en place pour lui. C’est Joffrey qui a envoyé le sbire pour tuer Bran, le crime qui a déclenché toute la guerre. Mais maintenant qu’il sait, que peut-il y faire ? »

Tyrion est ensuite tenté de révéler à sa femme, Sansa, ce qu’il a compris, mais, à sa question innocente de savoir si Joffrey aimerait un poignard, il décide plutôt de donner une réponse à double sens : « Je serais certainement ravi de lui en donner un », dit Tyrion. Si cela avait été diffusé à l’écran, cela aurait aidé à expliquer pourquoi Joffrey se montre publiquement si monstrueux envers son oncle à son mariage, et aurait fait de Tyrion un suspect plus crédible dans le complot d’empoisonnement de Joffrey : il avait menacé le garçon ce matin-là même.

Les showrunners ont choisi de ne pas conserver les éléments apportés par Martin, mais ceux-ci démontrent indubitablement la conception qu’il avait du rôle de Joffrey, et il n’y a pas de raison de supposer que cette conception n’est pas valide pour la saga.

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2 Comments

  1. Bonjour,

    Très chouette décryptage ! 😀 C’est toujours un IMMENSE plaisir de lire ces approfondissements de qualité !

    J’ai juste remarqué une petite faute : il y a un « Tyrion » en trop dans la phrase « Enfin, Jaime et Tyrion Cersei discutent brièvement une dernière fois de cela, lors de l’évasion de Tyrion. » 😉

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