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[On teste pour vous] « Du droit dans Game of Thrones »

[On teste pour vous] « Du droit dans Game of Thrones »

Beaucoup d’ouvrages traitent de séries à succès en les abordant par le prisme de leurs rapports avec un domaine de connaissance particulier : les sciences, la philosophie, l’histoire, etc. Aujourd’hui, c’est au tour du droit de s’y mettre, avec le livre « Du droit dans Game of Thrones », aux éditions Mare et Martin (aucun rapport avec George R.R., il s’agit des noms des deux fondateurs de la maison d’édition). Il s’agit d’un ouvrage collectif, reprenant les contributions à un colloque organisé le 23 février 2018 à la faculté de droit de Brest (ce sont donc les « actes » de ce colloque). Les personnes familières de notre site constateront que la préparation de ce colloque a eu lieu pendant la Longue Nuit, et donc que notre wiki n’était alors plus disponible, ce qui peut expliquer (et excuser) les quelques lacunes et imprécisions de certaines contributions, comme par exemple la confusion entre Marcheurs blancs et morts-vivants1.

Présentation

Couverture de "Du droit dans Game of Thrones", éd. Mare & Martin, 2020

Couverture de « Du droit dans Game of Thrones », éd. Mare & Martin, 2020


Avant d’aller plus loin, je précise que cet ouvrage est consacré quasi-exclusivement à la série (même si quelques contributeurs citent la saga, et si l’un se reporte même à un moment aux Origines de la saga, mais sur un point de détail). Compte tenu de la date du colloque, la huitième saison n’est pas prise en compte dans les contributions, mais les sept premières fournissent déjà amplement de quoi faire ! Quant au droit, il s’agit essentiellement du droit français et du droit international.

L’ouvrage comprend treize contributions, encadrées par une contribution introductive et un rapport de synthèse, et ordonnées en trois parties (chacune faisant elle-même l’objet d’une annonce, court texte de présentation) :

  1. Les contours juridiques de l’humain dans Game of Thrones : cette partie aborde les questions du statut de l’animal, de la bioéthique, de la naissance et de la mort ;
  2. Us et coutumes de Westeros : y sont traitées les questions sexuelles, des peines pénales (dont la peine de mort), du meurtre, du handicap et de la condition féminine ;
  3. Gouverner les Sept Couronnes : cette partie aborde les sujets du droit maritime, de la protection contre la traite d’êtres humains, des relations internationales et des frontières.

Le livre présente les avantages et les inconvénients de tout ouvrage collectif : les contributions faisant en général une dizaine de pages, on peut venir à bout des textes un peu rébarbatifs, mais on est parfois frustré par des analyses trop résumées, pour lesquelles on aurait aimé aller plus loin.

Le droit et Game of Thrones : analyse et illustration

Traiter des rapports entre le droit et une œuvre de fiction comme Game of Thrones peut, à mon sens, se faire selon deux approches :

  1. On peut d’abord chercher dans l’œuvre les éléments en rapport avec le droit, tenter de les ordonner et de les systématiser pour en trouver la cohérence, puis comparer la construction juridique ainsi élaborée à celle existant dans le monde réel, soit à notre époque, soit à une époque passée correspondant mieux au contexte interne de l’œuvre ; par exemple, il est ainsi possible d’examiner au plan juridique la réglementation de la pratique de la médecine2, ou l’usage des duels judiciaires3 ;
  2. On peut aussi aller puiser dans la série des situations factuelles et les passer au crible d’une analyse juridique fondée sur le droit existant dans le monde réel : par exemple, le droit à l’accès aux origines appliqué à Jon Snow4, ou le mariage de Sansa avec Ramsay et la question des violences faites aux femmes5.

L’ouvrage allie les deux approches, parfois au sein d’une même contribution, mais la deuxième semble cependant dominante. Les deux ont d’ailleurs leur intérêt. La première permet de mettre à l’épreuve la cohérence de la construction fictionnelle, d’en mettre à jour les soubassements conceptuels (l’idée que l’auteur se fait du monde fictionnel qu’il crée), et de revenir sur l’évolution du droit dans notre propre monde, d’où il vient et quels chemins alternatifs il aurait pu prendre : « tout l’intérêt d’une étude de droit comparé entre un droit fictionnel et notre droit positif est bien de chercher des parallèles et de voir quels enseignements peuvent être tirés de l’étude d’un droit imaginaire »6.

La deuxième donne à des débats juridiques contemporains de nouvelles dimensions, et permet de les illustrer par des situations inédites. Une contribution souligne ainsi « l’intérêt de faire du droit à partir d’hypothèses fictives. Ces dernières rendent saillants certains aspects de la vie et nous confrontent à ce que nous préférons parfois oublier ou ne pas voir, comme la mort. La réalité se révèle ainsi à travers la fiction, et ce constat vaut aussi pour les juristes. Empêtrés dans le réel comme tout un chacun, ces derniers ont parfois besoin du prisme de la fiction pour appréhender le monde »7.

En simplifiant, on pourrait dire que la première approche séduira les fans de l’œuvre, car elle leur permet d’approfondir leur connaissance de celle-ci, et que la deuxième intéressera les juristes, car ils pourront réfléchir différemment au droit. Le mélange des deux permet donc de satisfaire les deux publics, même si, bien sûr, un fan non-juriste peut aussi prendre plaisir à lire des synthèses juridiques claires sur des questions qui peuvent intéresser tout le monde. Par exemple, l’ouvrage permet d’aborder la question de l’inceste ou des naissances hors mariage, et de donner une culture juridique « de base » sur ces points.

Le droit dans Game of Thrones, ordonner le chaos

Confrontés à l’univers fictionnel de Game of Thrones, plusieurs contributeurs avouent leur difficulté à y dégager des règles juridiques stables et respectées : l’une évoque une « société vicieuse et amorale »8, un autre estime que « les personnages de Game of Thrones ne semblent retenus par aucune limite morale »9. La société de Westeros est aussi décrite comme « anachronique, chaotique ou inégalitaire, au sein de laquelle les individus ne semblent être guidés que par des instincts primaires : survivre, se venger ou acquérir le pouvoir »10. En allant plus loin, certains croient pouvoir affirmer que l’inceste serait une pratique relativement admise dans les Sept Couronnes11, voire que « la famille incestueuse est presque la norme »12. Pour d’autres, le viol serait « un fait institutionnalisé par la société »13, et le meurtre de femme « même volontaire, n’est pas considéré comme une infraction susceptible d’être condamnée »14.

Il est possible que la série puisse donner l’impression que le monde dans lequel elle se déroule est en effet sans foi ni loi, mais le fan, surtout s’il est lecteur des ouvrages de GRRM, aura tout de même du mal à souscrire pleinement aux affirmations citées ci-dessus. On peut y voir les conséquences des libertés qu’a pu prendre la série avec la cohérence interne à l’œuvre littéraire. Mais ce chaos (matériel et moral) ressenti peut amener à des conceptions discutables de la situation fictionnelle, et donc à biaiser les analyses juridiques. Ainsi, par exemple, la plupart des contributeurs15 qui abordent les questions de droit public estiment que les Sept Couronnes ne forment pas un État unifié, et donc que les rapports entre ses différentes composantes relèvent d’une grille d’analyse empruntée au droit international. La contribution argumentant le plus ce postulat16 le fonde sur l’absence d’effet des mesures punitives prises par la couronne de Port-Réal, et sur les sécessions (Nord, îles de Fer) intervenant en cours d’intrigue. Or ce n’est pas parce qu’un État est en crise dynastique et affronte des rébellions internes qu’il cesse d’être un État. Les Sept Couronnes affrontent dans Game of Thrones une situation de désordre extrême, de conflit de succession doublé d’une guerre civile et de conflit de légitimité entre le trône et l’autel (l’intérêt narratif de la série découle d’ailleurs en grande partie de cette situation : la vie quotidienne dans un royaume paisible et prospère est beaucoup moins facile à rendre passionnante). Prendre cette situation extrême comme la normalité, et en tirer des conclusions sur la structuration politico-diplomatique pérenne de l’univers fictionnel est problématique.

En fait, j’ai parfois regretté à la lecture de cet ouvrage que les questions d’histoire du droit n’y soient pas plus présentes. Il n’est en effet pas forcément pertinent de comparer l’état du droit dans Game of Thrones et celui de notre monde actuel, mais plutôt avec celui de notre Moyen-Âge historique. Ainsi, par exemple, j’aurais été très intéressé par une telle comparaison concernant la condition féminine, ou les règles d’héritage et de succession. De même, pour reprendre la thématique des Sept Couronnes comme État unitaire ou confédération d’États, une réflexion sur les mécanismes de construction de l’État médiéval aurait été bienvenue.

Pour conclure

Si certaines parties peuvent faire hausser un sourcil (et parfois même les deux), l’ensemble reste stimulant et abordable même pour des non-juristes. Les thématiques sont suffisamment variées pour que chacun y trouve son compte (même si j’ai regretté l’absence de certains thèmes, comme les mécanismes de légitimation du pouvoir souverain, ou l’appréhension des dérives sectaires, par exemple). Il n’y a pas de renouvellement fondamental du regard sur le monde de Game of Thrones, mais un ensemble de réflexions plaisantes et parfois fécondes.

« Du droit dans Game of Thrones », collectif dirigé par Q. Le Pluard et P. Plouhinec, éditions Mare & Martin, 276 pages, 24€

Ce livre a été transmis gracieusement à la Garde de Nuit pour revue, qui en remercie l’éditeur. Cette transmission n’a fait l’objet d’aucune transaction financière. L’avis publié ici est émis en toute indépendance.

  1. 1 A. MONTAS, p. 86 et s.
  2. 2 Q. LE PLUARD.
  3. 3 A. PELLEN.
  4. 4 A. COAT.
  5. 5 S. BIAGINI-GIRARD.
  6. 6 A. PELLEN, p. 122.
  7. 7 A.-B. CAIRE, p. 44.
  8. 8 A. COFFIN, p. 154.
  9. 9 P. PICHOT, p.174.
  10. 10 V. NDIOR, p. 101.
  11. 11 J. BUREL, p. 136.
  12. 12 J.-C. RODA, p. 263.
  13. 13 S. BIAGINI-GIRARD, p. 168
  14. 14 Ibid, p. 169.
  15. 15 Notamment M.-A. FRISON-ROCHE, p. 27, C. GENONCEAU, p. 196, et G. DJOUAKEP FANDO, p. 245.
  16. 16 P. PLOUHINEC, p. 217 et s.

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1 Comment

  1. Je crois que cet ouvrage va m’intéresser (5 ans de droit cela ne s’oublie pas 😉), surtout la partie relative au droit public et à l’organisation de l’État en général. Je l’achèterai dès que le confinement sera terminé 😜

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