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Entretien avec… Chris Vuklisevic

Entretien avec… Chris Vuklisevic

Lors des Imaginales 2021, la Garde de Nuit a eu la chance de rencontrer des acteurs et actrices de la fantasy et de l’imaginaire en France. Nous avons ainsi pu leur poser quelques questions concernant leur perception de l’œuvre de George R.R. Martin et son impact sur le monde de l’écriture. Dans les semaines qui viennent, nous vous proposerons donc une retranscription de leurs propos passionnants et leurs perspectives uniques sur les écrits du Trône de Fer et sur la série qui en est dérivée.

Pour poursuivre cette série d’articles, nous vous présentons aujourd’hui Chris Vuklisevic. Nouvelle voix de l’imaginaire francophone, son premier roman, Derniers jours d’un monde oublié, a remporté le concours organisé pour les vingt ans de la collection Folio SF, et, depuis sa publication, enchaîne les éloges. Récemment, le prix Elbakin lui a été attribué. Très inspirée par l’œuvre de Martin dans sa propre écriture, elle nous en dit plus.

Garde de Nuit : Commençons par les présentations. Qui es-tu en tant qu’autrice, quel est ton parcours ?

Chris Vuklisevic

Chris Vuklisevic : J’ai publié mon premier roman, Derniers jours d’un monde oublié, en avril 2021 chez Folio SF à l’occasion de leurs 20 ans. Ils avaient organisé un concours pour trouver une nouvelle voix de l’imaginaire pour leurs 20 ans, pour publier un titre inédit, et c’est mon manuscrit qui a remporté le premier prix. C’est comme ça que j’ai été publiée.

J’ai également une deuxième parution qui a vu le jour en octobre 2021, une nouvelle dans un recueil chez ActuSF. Ils publient une grande anthologie : “Par delà l’horizon”, qui regroupe notamment des grands noms francophones comme Jean-Laurent Del Socorro et Pierre Bordage. C’est censé être l’anthologie qui fait le point sur la SF française. Quant à savoir ce que je fais dedans, on ne sait pas (rires). Mais donc voilà où j’en suis.

Garde de Nuit : Et pour situer : ton premier livre, tu le qualifies de fantasy, de fantastique,… ?

Pour moi c’est de la fantasy voire de la dark fantasy. Mais dans les critiques que j’ai lues, je l’ai vu catégorisé dans toutes les catégories possibles et imaginables : dans du post-apo, de la SF, des trucs dont je n’avais même pas connaissance, du grim-dark-post apo … Pour moi c’est de la fantasy assez classique, mais comme ça se passe dans un monde où il y a eu une catastrophe (et l’intrigue se déroule plusieurs siècles après la catastrophe), certains l’ont catégorisé en post-apocalyptique. Mais ce n’est pas un monde qui porte les caractéristiques du post-apo, et rien n’est pas dévasté. Il y a rien d’apocalyptique : c’est juste qu’il y a eu une catastrophe trois siècles avant.

Garde de Nuit : Et donc, je ne sais pas si tu connais La Garde de nuit ? On va parler de George R.R. Martin. Est-ce que tu as un rapport particulier à l’auteur ? Est-ce que tu connais un peu ses œuvres ?

Evidemment ! J’ai découvert le Trône de Fer avec la série télé, je pense comme beaucoup de gens. Puis, comme la série ne sortait pas assez vite, je me suis jetée sur les bouquins et je les ai tous lus. Ça m’a beaucoup influencée et inspirée pour écrire mon roman. En fait, si je dois caricaturer, j’ai mis énormément de temps à écrire ce livre, il a considérablement évolué dans ma tête au fil des années, sur peut-être huit ans. Au tout début, j’étais LA fan de Harry Potter et je voulais faire un truc assez coloré, assez joyeux. Puis je suis devenue petit à petit fan de Game of Thrones et ça a complètement changé l’histoire et l’ambiance de mon roman et ses personnages. Ce qui fait qu’à la fin, on est plus sur le livre d’une fan de Game of Thrones. La saga m’a fortement influencée notamment sur le côté assez nuancé des personnages, et sur le côté sombre de l’univers : une violence sociale qui s’exerce sur les personnages avec laquelle ils doivent composer. Et de manière beaucoup plus précise – même si je ne vais pas trop en parler parce que c’est une des dernières scènes du roman, c’est vraiment le dénouement – et là pour le coup c’est plus une influence de la série télé, je me suis inspirée de cette scène où il y a Cersei qui entre et qui s’assoit sur le trône, à la fin de la saison 6. Cette scène m’a tellement estomaquée que j’en ai fait une scène miroir dans mon roman !

Garde de Nuit : Quel est ton avis sur la série télé ?

De quelle saison parle-t-on ? (rire)
J’ai adorée cette série télé, je ne vais pas mentir. Avec mon mari et des amis, on regardait chaque épisode ensemble en cosplay, on était au taquet ! Enfin… pas tous les épisodes mais les derniers de chaque saison, et quand je dis cosplay, c’est plutôt des “closet-cosplay” : vraiment pas très joli, mais très marrant à faire. Donc ça a été un vrai événement dans ma vie. Et j’ai découvert la saga grâce à la série télé, donc je leur en serai toujours reconnaissante pour ça. Il y a un travail extraordinaire qui a été fait sur les décors, sur les costumes, sur la musique… Ensuite, concernant la manière dont la fin de la série a réglé leur sort aux personnages : quelques épisodes ont vraiment manqué pour le développer, je pense qu’on est tous d’accord là-dessus. À la fin, ça m’avait vraiment l’air d’être en réalité un énorme crossover : c’est très bizarre mais quand tous les personnages se trouvent ensemble et que tu ne t’y attends pas, d’un coup ils sont tous au même endroit, tu as alors l’impression d’une fanfiction – ce qui était le cas en soi, c’est des fans qui l’ont fait …

Garde de Nuit : Effectivement, les showrunners se sont retrouvés sans matériel à adapter.

C’est ça, les pauvres ! En fait, ils se sont retrouvés avec des grandes lignes. Et c’est là qu’on voit la force de Martin : il ne s’agit pas seulement d’arriver à construire une histoire qui avance – parce qu’il leur a donné les outils pour qu’ils aillent jusqu’au bout – il faut de la finesse pour construire l’évolution de personnages. La finesse que Martin aura, croyons-y !

Garde de Nuit : Dans ton écriture, est-ce qu’il y a des choses qui ont été anti-inspirées par Martin, je veux dire par là, des exemples de Martin que tu cherches à déconstruire, à ne surtout pas reproduire ?

C’est une bonne question. Je ne me la suis jamais posée. Là comme ça, non, il n’y a pas d’évidence. Dans ma tête, souvent les livres et la série télé se confondent. Ce qui me vient à l’esprit, c’est qu’il y a énormément de sexe – qui est beaucoup plus gratuit dans la série que dans les bouquins – et c’est vrai que, même si je n’ai pas complètement pris le contrepied, c’est un aspect où je me suis dit « On peut lever le pied là-dessus, c’est pas nécessaire d’en montrer autant ».

Garde de Nuit : Et les choses qui t’ont particulièrement plu dans l’écriture de Martin ? Dans son monde ? Tu as parlé des personnages nuancés tout à l’heure, il y a d’autres choses qui t’ont inspirée ?

Il y a longtemps que je ne me suis pas replongée dans les bouquins, mais quand j’étais dedans, je les lisais en allant au travail dans le métro, le matin, et quand je sortais ces bouquins c’était comme sortir un paquet de bonbons ! J’avais vraiment physiquement cette sensation que j’allais manger des bonbons. Mon corps fournissait les mêmes hormones de plaisir. Je trouve son écriture excellente. J’entends plein de gens dire qu’il n’écrit pas spécialement bien, mais ce n’est pas mon avis.

Garde de Nuit : Tu les as lus en anglais ?

Je les ai lus en anglais, oui.

Garde de Nuit : Ca peut expliquer les retours négatifs que tu as entendus sur le style : la traduction est très débattue. Il y a eu deux traducteurs différents, trois si on compte les nouvelles et les textes dérivées. Donc déjà il y a des styles différents de traduction. Le premier traducteur était très « médiévalisant », avec un style totalement différent de Martin. Le projet littéraire de Martin disparaît sous ce qu’il a fait, lui, en terme de traduction.

L’écriture de Martin me paraissait à la fois hyper fluide, simple, très accessible et en même temps assez ciselée. Il y avait quand même des phrases coup de poing assez saisissantes. J’aimais beaucoup ce qu’il faisait avec les points de vue, avec une voix narrative très distincte.

Garde de Nuit : Ça t’as inspiré en terme d’écriture ?

En terme d’écriture, non, parce que comme je l’ai lu en anglais, je pense pas que ca m’ait directement influencée.

Garde de Nuit : Et en terme de focalisation, de nombre de personnages, de choses comme ça ?

Les changements de point de vue m’ont clairement inspirée ! Il y a trois points de vue dans mon roman, trois personnages principaux, qui alternent entre eux. Donc clairement, ça m’a beaucoup inspirée, et je me suis même demandé comment faire pour pas qu’on ne se dise pas “Ah bah tu fais comme George R. R. Martin, tu mets plein de personnages point de vue.”. Pour y répondre en partie, je n’ai pas mis leurs prénoms comme titres de chapitres, mais j’ai mis leur statut, qui ils sont. C’est la sorcière, la pirate et le vieux marchand. Et ensuite, vers la fin, leurs statuts vont changer et donc on n’a plus les mêmes noms de chapitre à mesure que leur statut change. C’est le seul écart que j’ai fait. Mais des points de vue, je me suis dit aussi que je n’allais pas en mettre autant : parce que je n’en serais pas capable, et parce que je voulais finir un livre qui n’allait pas faire des milliers de pages ! Le roman est assez court, il fait 350 pages en poche, donc c’est quelque chose qui va vite, qui file. Mais l’alternance des points de vue et leur complémentarité créent une vraie complexité et plein de réalisme. Il y a plusieurs points de vue différents sur les mêmes événements, ce qui donne cette sensation que la vérité va être difficile à trouver et en même temps qu’elle émerge mieux par ces différents points de vue.

Garde de Nuit : As-tu lu d’autres livres de Martin à part le Trône de fer ?

J’ai lu un petit recueil de nouvelles Les rois des sables. Mais c’était il y a longtemps, je ne pourrais pas trop en parler.

Garde de Nuit : Ça t’avait plu ?

J’avais bien aimé. La nouvelle Les rois des sables justement m’a assez marquée. J’ai retrouvé son don pour poser des images très fortes en quelques mots, en quelques phrases. En fait, ce n’est pas étonnant que ses écrits aient été adaptés, son écriture est très visuelle. Dans le Trône de fer, c’est très visuel mais ce n’est pas un scénario. Aujourd’hui, on sent dans certains livres qui sont publiés que l’auteur aimerait bien que ce soit adapté, mais ça ne marche pas aussi bien.

Garde de Nuit : Et qui sont tes personnages préférés ?

Je crois que mon personnage préféré est Cersei. Pas préféré dans le sens de la sympathie, mais de l’empathie. C’est un personnage qui est extrêmement bien écrit, très complexe. Un personnage que justement, j’ai détesté très longtemps. Et puis elle devient de plus en plus humaine, on comprend ses motivations et c’est mon personnage préféré pour ça, pour son écriture. Elle a en réalité un côté très vulnérable qu’elle cache.

Garde de Nuit : La Cersei de la série est plus humaine, celle des livres est complètement folle. Elle est paranoïaque, elle est persuadée que tout le monde lui en veut … Les deux Cersei sont assez différentes.

En même temps avec tout ce qu’elle a vécu … C’est vrai que la série insiste peut-être plus là-dessus, mais son amour pour ses enfants est à l’origine de tout ce qu’elle fait. Ça m’a aussi un peu inspiré pour mes propres personnages. Moi, je n’ai pas d’enfant et c’est un truc qui me travaille : ça fait quoi en fait, d’aimer comme ça quelqu’un inconditionnellement ? Quand les gens en parlent ça a l’air d’être un truc assez fou. Et du coup, dans mon roman, les relations mère-fille sont très développées : qu’est-ce que c’est d’être une mère, jusqu’où on est prêt à aller pour son enfant et inversement, comment vit-on ce lien avec une mère très dominatrice, manipulatrice… Alors on reconnaît un petit peu de Cersei là-dedans.

Garde de Nuit : Quelles autres inspirations as-tu ?

Le Trône de fer est très très très présent, c’est la grosse inspiration. Ensuite, une autre influence assez forte qui m’a énormément marquée, c’est Robin Hobb, qui est amie avec Martin, donc c’est pas très étonnant. Sinon en français, il y a Jean-Philippe Jaworski. Ce que j’aime énormément chez lui, c’est sa langue, son côté à la fois très beau, poétique et ordurier, et il arrive à mélanger les deux de manière parfaitement fluide … Je pense que si un jour j’arrivais à faire ça, ce serait vraiment pas mal. Mais j’ai beaucoup de mal à dire mes influences parce que j’ai énormément fabriqué ce livre, il n’a pas été très spontané, dans le sens où je l’ai travaillé sur beaucoup d’années. Il n’a pas été facile à sortir donc je peux pas identifier quelque chose qui m’a naturellement inspiré dans l’écriture.

Garde de Nuit : Tu t’es toujours vue être autrice, tu avais une petite histoire dans un coin de ta tête que tu as fait grandir … ?

J’ai fait des études dans l’édition, j’ai travaillé un petit peu dans l’édition, j’ai des activités aussi bénévoles en dehors de ça toujours dans l’édition. Et oui j’ai écrit depuis très très très longtemps. Quant à me voir autrice, je pense que j’ai toujours su, vraiment, qu’un jour j’allais être autrice. Pas forcément à plein temps comme métier mais que j’allais être publiée. C’est à la fois une certitude et un rêve, et une angoisse de se dire « J’ai cette certitude en moi et si ça se trouve ça n’arrivera jamais ». Il s’avère que ça m’est arrivé et j’en suis très reconnaissante. Cependant cette histoire-là était dans ma tête depuis des années, elle a énormément évolué, et elle n’a plus rien à voir dans sa version finale.

Garde de Nuit : Et j’imagine que toi qui connais les rouages de l’édition ça t’a peut-être aidée à être mieux armée pour aujourd’hui répondre aux sollicitations ?

Oui effectivement, je ne me rends pas forcément compte, puisque je ne sais pas comment ça fait quand on ne connait pas le milieu. Mais déjà sur le travail éditorial, je sais ce qui est attendu, je sais ce que ça fait d’être du côté de celui qui propose les corrections, donc j’essaie de pas être trop pénible (rires). Mais, par exemple, mes éditeurs m’ont invitée à la réunion des représentants commerciaux pour leur présenter le livre directement. Le fait de savoir un petit peu ce qui est attendu, comment parler à tels acteurs de la chaîne, je pense que ça aide un petit peu. Mais c’était pas du piston contrairement à ce qu’on pense souvent. Non, non, j’ai simplement soumis mon manuscrit au concours et ça a fonctionné.

Garde de Nuit : Est-ce que tu vas regarder la prochaine série ? Tu en attends quoi ?

Je n’ai pas envie de trop projeter dessus car je pense que c’est le meilleur moyen d’être déçue. Pour l’instant, j’y vais sans aucune attente, juste en me disant que ça va être un peu le spin off raté, parce que j’espère être agréablement surprise. J’ai envie que ça soit bien, j’ai envie de revivre ce que je vivais au début avec les premiers épisodes de Game of thrones et cette hype. Ce qui me plaisait aussi, c’était la communauté autour. Pouvoir en discuter entre les épisodes, entre les saisons, faire des théories …

Garde de Nuit : Tu connaissais la Garde de Nuit, tu es déjà allée sur le blog, sur le forum … ?

Oui, je n’ai jamais été active, mais je connais. J’y suis allée sans doute entre les saisons, sur le wiki quand tu te demandes “Mais c’était qui lui, déjà ?” tu tombes toujours sur la Garde de Nuit. En fait c’est ça que j’espère, retrouver cet esprit-là !

Garde de Nuit : Tu as d’autres projets d’écriture ?

Oui, j’ai un autre roman en cours d’écriture qui avance petit à petit, qui n’a rien à voir avec Derniers jours d’un monde oublié, et qui lorgne plutôt du côté du réalisme magique, de la fantasy urbaine … C’est très loin de ce que j’ai fait auparavant. C’est en cours d’écriture, je ne peux pas en dire grand-chose parce que je suis à fond dans les galères de l’écriture : tu ne sais même plus où tu veux aller, ce que tu veux faire…, mais voilà j’en suis là.

Garde de Nuit : Pas inspirée par Georges Martin du coup sur celui-ci ?

Non, parce que j’aimerais aller vers quelque chose d’un peu plus lumineux. Il y a des aspects lumineux parfois dans l’œuvre de Martin, mais il faut aller les chercher.

Garde de Nuit : Tu n’es pas obligée de faire sombre pour faire réaliste, non ?

C’est une grande question, un grand défi. Comment garder une complexité, une nuance, et ne pas tomber dans la niaiserie des bons sentiments, tout en faisant quelque chose de lumineux, je trouve que c’est très dur. Arriver à faire du beau sans faire du niais. J’essaie d’aller vers ça, de ne pas tomber dans un excès ou dans l’autre.
Dans mes inspirations, comme je lis aussi beaucoup de poésie, j’essaye d’en mettre un peu aussi dans mon texte … Catherine Dufour disait qu’Ursula Le Guin écrivait beaucoup de poésie, et que c’était intéressant pour voir d’où venait vraiment un auteur, de regarder s’il avait écrit de la poésie, et ce qu’il écrivait ensuite. Et c’est vrai que moi je me reconnais beaucoup là-dedans. Il y a beaucoup de poètes qui m’ont influencée sur une langue qui prend des mots très simples pour en faire des choses beaucoup plus complexes. Je pense aux poèmes de Louis Aragon par exemple. Je prétends pas faire de la poésie avec mon roman mais c’est un style auquel j’aspire.

Propos recueillis par Nymphadora et DNDM

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Compte collectif de La Garde de Nuit.

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