Share This Post

Accueil - Actualités / Autour de la saga

Entretien avec… Grégory Da Rosa

Entretien avec… Grégory Da Rosa

Grégory Da Rosa

Lors des Imaginales 2019, la Garde de Nuit a eu la chance de rencontrer des auteurs et autrices qui font l’actualité de la fantasy en France. Nous avons ainsi pu leur poser quelques questions concernant leur perception de l’œuvre de George R.R. Martin et son impact sur le monde de l’écriture fantasy. Dans les semaines qui viennent, nous vous proposerons donc une retranscription de leurs propos passionnants et leurs perspectives uniques sur les écrits du Trône de Fer et sur la série qui en est dérivée.

Aujourd’hui, c’est Grégory Da Rosa qui passe à la question.
L’auteur de Sénéchal (son premier roman, publié sous forme de trilogie chez Mnémos entre 2017 et 2018) était un inconnu pour les membres de la Garde de Nuit présents aux Imaginales. C’est lors d’une table ronde autour du thème des complots que la présentation de son œuvre a attiré notre attention : raconter une histoire à travers les yeux d’un narrateur non fiable qui peut passer à côté de certaines choses déterminantes, ça nous a rappelé un certain George R.R. Martin. Et ce n’est effectivement pas par hasard !

Garde de Nuit : En lisant la quatrième de couverture de votre livre Sénéchal, on voit que vous citez le Trône de Fer comme référence. Quel est votre rapport à la saga ? Comment l’avez vous découverte ?

Grégory Da Rosa : J’ai découvert la saga en première année de licence, en 2007, avec les bouquins en édition poche (12 livres à l’époque, ADWD n’était pas encore sorti). À la lecture de ces livres – j’écrivais alors déjà de mon côté – j’ai été bluffé. Il y a des œuvres comme ça qui vous choquent et vous transforment et le Trône de Fer en fait indéniablement partie. Je ne peux pas dire le contraire, ça m’a forgé. En tant que jeune adulte (à ce moment là j’avais à peine 18 ans), c’était une grosse claque. Il y a eu cette œuvre-là de George Martin, et ensuite il y a eu celle de Jean-Philippe Jaworski.

GdN : Quelle œuvre de Jaworski ?

GR : Gagner la guerre ! Je n’ai pas encore lu la saga des Rois du monde parce que je suis du genre à attendre que tout soit fini…

GdN : Bien vu pour le Trône de Fer ! (*rires*)

GR : On ne parlera pas de cette fin qui n’arrive jamais !

GdN : Comment la saga vous a-t-elle inspiré ?

L’inspiration de ma saga Sénéchal vient du Trône de Fer en grande partie. Je pense que ça se voit dans dans les grandes lignes : avec ce premier roman, j’ai voulu dire merci au(x) grand(s). C’est vraiment un hommage.
Il y a des personnages qui ressemblent (évidemment pas trait pour trait !). Par exemple, pour Dame Esther de Haplen (un personnage de Sénéchal), pas mal de lecteurs m’ont fait remarquer qu’elle ressemble à lady Olenna Tyrell. En plus, je lui avais mis une guimpe noire et la série télévisée est arrivée avec une Olenna qui porte une guimpe noire ! Je me suis dit « Mon Dieu, ce n’était pas prévu ! » *rires*. Mon personnage s’habille en noir car elle porte le deuil de sa fille morte il y a dix ans, donc il n’y avait pas de rapport (conscient en tout cas) avec Olenna, mais les gens l’ont vu tout de même. Pareil avec le sénéchal : à un moment, on se demande si l’inspiration ne vient pas d’un mélange de Ned Stark (pour sa noblesse et le fait qu’il défend le trône et le roi jusqu’au bout), avec un petit côté Petyr Baelish.

La narration à la première personne me permet beaucoup de choses, puisqu’on ne sait pas trop sur quel tableau on joue : est-ce que le personnage dit tout, est-ce qu’il ment… ou est-ce qu’il n’y comprend rien et que des pans entiers d’intrigues passent à l’as, car il ne les voit pas et ne nous en parle pas ?

Je me suis également permis d’emprunter une scène, alors bien sûr pas au niveau de George R.R. Martin *rires* : dans la conclusion du troisième tome, il y a un clin d’œil énorme à une scène qui m’avait accroché définitivement au Trône de Fer, et je ne pouvais pas passer à côté. Alors ça ne participe pas au dénouement, ce n’est pas une clé de l’intrigue, mais c’est un clin d’œil.

GdN : N’en dites pas plus pour ne pas spoiler (*rires*) !
Fan du Trône de Fer donc, avez vous lu d’autres œuvres de George R.R. Martin ?

GR : Non. Je ne suis pas fan à ce point-là. Et pour être honnête, je lui ai un peu fait la tête pendant quelques temps parce que la suite n’arrivait pas. J’ai envie d’une histoire qui commence et qui finit, et peut être qu’après j’irai vers autre chose parmi ses écrits. J’ai failli craquer dernièrement pour Feu et Sang.

GdN : On ne peut que vous recommander de craquer pour ce livre ! Ne serait-ce que pour la Danse des Dragons !

GR : J’aime bien que l’univers s’étende, mais je suis très accroché aux personnages, donc je n’ai pas vraiment l’envie. Mais je m’y mettrai sans doute un jour.

GdN : Vous avez retenu cette idée de narration par point de vue, mais l’appliquer à un seul personnage est-il un moyen d’éviter de trop vous éparpiller ?

GR : Oui, c’est venu avec le personnage de Tif-Trempe qui a son propre point de vue à un moment du récit, et là j’ai eu l’impression que George R.R. Martin se perdait un peu dans sa flopée de personnages. Il commençait à mettre en avant certains d’entre eux qui avaient carrément leur propre chapitre point de vue, dont je ne voyais pas tellement l’utilité. Ça commençait à se diluer, à se perdre, et je me suis dit que c’était une intrigue qui n’en finissait pas, qu’il pourrait écrire 56 tomes et qu’on n’aurait pas avancé beaucoup plus tellement il y a de personnages qui agissent en même temps.

Du coup, n’ayant pas du tout la maîtrise de Martin (les premiers chapitres de Sénéchal ont été écrits quand j’avais 22 ans) et sachant qu’aucun éditeur ne voudrait d’un roman en 46 tomes, j’ai voulu condenser. Ça a aussi été un challenge pour moi, car la fantasy a tendance à vouloir être très bavarde et à partir loin. Donc je me suis dit que je prenais moins de risques avec un personnage que je contrôle, dans une intrigue que je contrôle. C’est pour ça que j’ai placé l’intrigue au sein d’un siège dont on ne sort pas. J’avais ainsi peu de chance de déraper… Et j’ai quand même dérapé ! Car, à la base, je ne voulais faire qu’une novella de 60 pages, c’était un test, qui s’est transformée en trilogie par je ne sais quelle magie (*rires*). Donc je comprends très bien le syndrome du « Oui, ça sera une trilogie… mais en fait il y a en aura 4, ou il y a en aura 5, et je ne sais pas quand je finis… ».

GdN : Avez vous d’autres projets ? Vous avez envie de continuer sur ce type de narration ou d’explorer d’autres choses ?

GR : Ce n’était que l’introduction à mon univers. Je compte l’ouvrir, montrer que l’univers est grand, en restant dans ce monde.
C’est un peu comme le Trône de Fer. Les gens qui connaissent Westeros ont envie de connaître le continent qui est à l’Est (NDLR : Essos), celui qui est au Sud (NDLR : Sothoryos). On a même Arya Stark qui va maintenant aller à l’Ouest (*rires*) [NDLR : dans la série]… On comprend très bien que Westeros ne représente pas grand chose finalement, on a toujours envie d’étendre l’univers.
C’est ce que j’ai envie de faire aussi, j’ai surtout envie de sortir de ma ville assiégée. C’est un univers que j’ai créé quand j’avais 16 ans, pour un forum de jeu de rôle à la base, et depuis mes 16 ans jusqu’à maintenant (j’en ai 29), j’ai grandi, mûri. J’ai envie d’explorer une fantasy qui n’est pas forcément médiévale-occidentale, mais d’aller vers du médiéval-oriental. Ça va sentir le sable chaud, mais aussi le poil de chameau !

GdN : Dans l’œuvre de Martin, il y non seulement des intrigues humaines, terrestres, mais aussi tout un aspect religieux…

GR : Pour cela, je ne me suis pas inspiré du Trône de Fer, mais plutôt de la Bible. C’est le plus gros livre de fantasy du moment, qui se vend très bien depuis 2000 ans (*rires*). Non parce que quand quelqu’un ouvre la mer en deux, que l’autre marche sur l’eau et qu’on vous change l’eau en vin… !
Donc cette inspiration me permet d’avoir des intrigues à la fois médiévales et religieuses. D’autant qu’au Moyen Age, c’est très difficile de scinder les deux. Un roi est de droit divin, donc la politique est de base liée à la religion. Ayant eu une éducation catholique, ça m’a façonné d’une certaine façon, et j’ai eu envie de dire un peu ce que je veux avec mon livre. On va un peu salir les anges notamment. Il y en a dans mon livre : je n’hésite pas à aller un peu plus loin que George R.R. Martin au niveau des espèces créées (même s’il a les enfants de la forêt, on les voit vraiment peu).

GdN : Un des aspects les plus appréciés dans l’œuvre de Martin est qu’il n’y a pas de manichéisme. Personne n’est vraiment tout blanc, à part un ou deux individus. Pour ceux qui sont tout noir, à quelques exceptions près, on arrive à leur trouver des circonstances atténuantes, ou du moins à comprendre ce qui les a amenés là. Est-ce la même chose dans votre roman ?

GR : Tout à fait. C’est George R.R. Martin qui m’a appris que la fantasy, ce n’était pas que du blanc et du noir. J’ai accroché immédiatement au roman grâce à la finesse des personnages. Et c’est aussi quelque chose vers quoi je tends. Parmi mes personnages, il n’y aura jamais un héros qui sauve tout le monde. Ou s’il sauve tout le monde, à un moment, il va forcément faire une mauvaise action ou penser à une chose à laquelle il ne devrait pas penser. Nous-mêmes ne sommes pas forcément tout blanc : même si l’on fait des choses bien, on a toujours une part d’ombre, des pensées que l’on n’ose pas dire.

Pour parler d’un sujet différent, l’autre point qui m’a marqué dans Le Trône de Fer, ce sont les inspirations historiques. Par exemple Les Noces pourpres et le black dinner en Écosse, la bataille de la Néra et la bataille de Constantinople en 717-718. Je me suis rendu compte qu’on peut vraiment s’ancrer à l’histoire, l’utiliser, la tordre, prendre ses moments phares pour en faire ce qu’on veut. J’ai trouvé ça génial, et ça m’a fait réaliser que l’histoire est un terreau fantastique. Qu’en se basant sur des événements on peut tout changer jusqu’à en cacher l’origine. Si on ne m’avait pas dit que c’était le black dinner ou la bataille de Constantinople, je ne l’aurais pas vu et cela fonctionne tout de même très bien. Le dernier clin d’œil historique au niveau de la série, il me semble que c’est Pompéi, vous ne pensez pas ?

GDN : Au sujet du massacre de Port-Réal, les créateurs de la série se seraient inspirés des images de Nagasaki et Hiroshima pour se représenter la destruction. Ce qui expliquerait pourquoi on voit des gens brûlés, des personnes complètement hébétées. C’est représentatif des conséquences des frappes nucléaires américaines.

GR : Ce qui m’a fait penser à Pompéi, ce sont cette femme et cet enfant enlacés, presque vitrifiés. En voyant cette image, je me suis dit qu’il y avait encore l’influence de George derrière, qu’ils ont pris le terreau historique, et ça m’a plu.

GdN : Dans les inspirations de George Martin, on trouve aussi Maurice Druon. L’avez-vous lu ?

GR : Oui, oui. D’ailleurs je m’en inspire aussi et j’avais lu Druon avant de savoir qu’il avait inspiré Martin. J’ai voulu me rapprocher de sa façon d’écrire, avec son phrasé ancien, médiévalisant sans trop l’être, assez fluide. C’est vers cela que j’ai tendu.
On peut aussi évoquer la traduction du Trône de Fer de Jean Sola, mais je sens qu’il va y avoir du feu et du sang *rires*. Je qualifierais son travail comme étant moins une traduction qu’une interprétation. Mais j’ai quelque chose qui m’attache à cette traduction, car c’est avec Jean Sola que j’ai découvert le Trône de Fer pour la première fois. Et Jean Sola a aussi influencé ma façon d’écrire, car j’ai voulu aller vers ce réalisme historique. Je suis d’accord qu’il aurait fallu plus cadrer à la plume de George R.R. Martin. Cela aurait aussi tout simplement permis de plaire à plus de monde, car ses choix étaient presque élitistes. C’est beau, mais exigeant. Mais, comme je m’étais accroché à ça dès le début, je lui pardonne tout *rires*.

GdN : Quand le sixième tome sortira, vous le lirez en anglais ou vous attendrez donc la traduction ?

GR : J’attendrais la traduction, car je suis très mauvais en anglais ! Et vu que j’ai commencé en français, je préfère attendre la traduction et je fais confiance à l’éditeur pour qu’elle arrive très rapidement. J’attends ça avec impatience. J’ai même envie d’oublier la série.

Découvrir une histoire par le biais d’un roman permet à son imagination personnelle de prendre le dessus. Alors que dans la série, les images sont imposées, ce n’est pas propice aux rêves. C’est la beauté d’un roman : même si l’auteur a absolument voulu dire quelque chose, les lecteurs peuvent voir les choses différemment. Avant la série, je n’avais pas le même Trône de Fer en tête que le vôtre.

GdN : Vous maîtrisez bien le sujet du Trône de Fer, vous ne l’avez lu qu’une seule fois ?

GR : Je n’ai lu qu’une seule fois. J’ai relu à un moment jusqu’au Donjon rouge (NDLR : seconde moitié de la première intégrale) et puis je me suis demandé pourquoi je faisais ça, pourquoi je me faisais du mal sachant qu’il n’y avait toujours pas la fin. Je vous avoue franchement, je voulais que Ned Stark revive un peu *rires*. Et le revoir vivre avec des dialogues que j’avais oubliés, avec Catelyn, c’est cool quand même, c’était bien ces moments là.

GdN : C’est encore pire quand on sait ce qui arrive…

GR : Et si vous me demandez mon personnage préféré, ce n’était pas Ned Stark mais Catelyn Stark, avec sa grande force et sa grande faiblesse… C’était un crève-cœur quand elle est partie.

GdN : Mais elle est toujours là, quelque part… Et parmi ceux qui vous intéressent le moins ?

GR : J’ai beaucoup de mal avec Theon Greyjoy. Et puis aussi, les personnages à la Ramsay Bolton ce n’est pas vraiment ce qui me plaît. Mais finalement, il y a très peu de personnages que je n’ai pas aimés du tout. Au contraire, je me régalais à lire Cersei par exemple. On sait qu’il faut détester les Lannister, mais on ne peut pas les détester vraiment, on a envie que leurs machinations fonctionnent. C’est pour ça qu’on aura forcément une fin déchirante, car on a aimé tous les personnages et certains vont perdre. Donc, je n’ai pas vraiment de personnage qui m’intéresse moins, à part peut-être Theon où j’ai plus de mal. C’est peut-être celui qui est le plus dans le pathos que les autres, c’est trop pour moi.

Propos recueillis par Thistle et Geoffray.

Retrouvez la plume de Grégory Da Rosa avec la saga Sénéchal :

Sénéchal par Grégory Da Rosa, éditions Mnémos

Share This Post

Compte collectif de La Garde de Nuit.

Leave a Reply