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Entretien avec… Jean-Philippe Jaworski

Entretien avec… Jean-Philippe Jaworski

Jean-Philippe Jaworski

Lors des Imaginales 2019, la Garde de Nuit a eu la chance de rencontrer des auteurs et autrices qui font l’actualité de la fantasy en France. Nous avons ainsi pu leur poser quelques questions concernant leur perception de l’oeuvre de George R.R. Martin et son impact sur le monde de l’écriture fantasy. Dans les semaines qui viennent, nous vous proposerons donc une retranscription de leurs propos passionnants et leurs perspectives uniques sur les écrits du Trône de Fer et sur la série qui en est dérivée.

Aujourd’hui, c’est Jean-Philippe Jaworski qui passe à la question. Jean-Philippe Jaworski est l’auteur de plusieurs jeux de rôles et romans acclamés par la critique… et par la Garde de Nuit ^^ Gagner la guerre, Janua Vera, Le Sentiment du fer, et le cycle des Rois du monde trônent en bonne place dans nos bibliothèques et nous sommes très heureux de pouvoir vous proposer cet entretien.

Garde de Nuit : Selon vous, l’œuvre de George R.R. Martin (les livres mais aussi la série) a-t-elle un impact sur la façon dont les auteurs écrivent la fantasy aujourd’hui ?

Jean-Philippe Jaworski : C’est probable, oui. C’est une œuvre qui a un tel impact sur le public. Dans la mesure où une partie de la littérature de fantasy a tendance à suivre les codes des succès qui ont précédé, assez logiquement, un certain nombre d’auteurs vont s’inspirer ou se sont déjà inspirés du Trône de Fer.

GdN : Et vous, avez-vous lu les livres ?

JPJ : Alors ça, c’est la question piège ! Je vais me faire couvrir d’opprobre par la Garde de Nuit (rires). Alors, pour dire franchement les choses, j’ai lu le premier tome et je n’ai pas poussé au-delà.

GdN : Vous n’avez pas aimé ?

JPJ : Ce n’est pas que je n’ai pas aimé, c’est que je pense que j’ai identifié les sources d’influences de Martin : aussi bien Maurice Druon, qu’une relecture des influences de Tolkien qui est assez lointaine chez lui, c’est surtout dans le monde secondaire qu’on l’aperçoit. Et du coup, je ne suis pas allé plus loin dans la lecture des romans.
C’est aussi parce que je « picore » en fantasy, j’ai beaucoup de lectures qui ne sont pas de la fantasy, j’ai beaucoup de lectures qui sont historiques ou de la littérature blanche à côté.

En revanche, j’ai regardé avec plaisir la série. Et même si là encore je risque de me faire couvrir d’opprobre à cause de la polémique sur la dernière saison en particulier, j’ai suivi avec plaisir toutes les saisons de la série. Y compris la dernière saison. Elle est très critiquée, mais moi je l’ai trouvée très esthétique. Elle présente des petits problèmes de rythme et de cohérence parfois, mais visuellement elle était vraiment très très belle !

GdN : Vous aussi qui allez voir vos romans adaptés prochainement [NDLR : un projet d’adaptation du cycle des Rois du Monde a été annoncé en 2019, et Gagner la guerre fait l’objet d’une adaptation en BD], que vous inspire de voir une série comme Game of Thrones qui a dépassé l’auteur ?

JPJ : J’avais déjà eu des propositions d’adaptations sur d’autres formats auparavant, et comme j’estimais que les cycles n’étaient pas suffisamment avancés, je n’avais pas donné suite. Là, en ce qui concerne le contrat, j’ai fait bien attention à certaines clauses. En particulier, je n’ai pas cédé au producteur tout ce qui était spin-off, prequels, sequels. C’est une autre clause que j’ai mise au point : il faut que je sois associé, il faut que l’on me demande mon avis, avoir mon accord pour faire tout ça.

La question du dépassement demeure toutefois, puisque ce qui va être adapté c’est un cycle qui est en cours d’écriture. C’est vrai que c’est une réelle angoisse, parce que j’ai en tête la « jurisprudence Martin ». J’en ai discuté avec les producteurs, mais on m’a laissé entendre que, comme il s’agit d’une société de production française – même si elle cherche de gros diffuseurs à l’étranger – le temps que tout se mette en place, normalement j’aurai le temps de continuer le cycle. Mais c’est quand même une certaine angoisse. En revanche, j’ai quand même un petit peu contrôlé le contrat en ce qui concerne tout ce qui est séries dérivées du roman initial.  

GdN : Êtes-vous complètement associé à la production de la série ?

JPJ : Oui. Je viens d’ailleurs de discuter à l’instant avec l’un des scénaristes. J’ai eu l’occasion de les rencontrer à plusieurs reprises. Durant un échange, le producteur m’a dit que j’aurai la possibilité de relire les scénarios, donc j’y serai associé, même si je ne serai pas scénariste. Probablement un petit peu de la même manière que je suis associé à l’adaptation BD de Gagner la guerre : ce n’est pas moi le scénariste, mais Frédéric Genêt, qui est à la fois scénariste et dessinateur, m’envoie d’abord le storyboard. Il m’envoie les planches en cours d’élaboration, il me demande mon avis : il y a un échange, j’ai l’occasion de donner mon avis sur l’adaptation.

GdN : Vous avez créé, de même que George R.R. Martin, un monde où il y a beaucoup d’éléments historiques, avec Gagner la guerre. Comment faites-vous vos recherches ? Vous interrogez les universitaires ou alors prenez-vous des inspirations un peu plus fictionnelles, comme par exemple Maurice Druon chez Martin ?

JPJ : Ça dépend du projet. En ce moment j’ai deux cycles en cours : sur le cycle du Vieux Royaume, qui est vraiment de la fantasy canonique avec un monde secondaire, je me comporte vraiment en pillard, c’est-à-dire que, quand j’ai besoin d’une information, ou quand un thème ou un sujet me plaît particulièrement, je vais le placer dans l’œuvre, et parfois c’est a posteriori que je vais chercher des informations. En ce qui concerne le deuxième cycle, les Rois du Monde, qui est de la fantasy historique (même si je discute le terme), la source d’inspiration est vraiment historique. Et même si c’est de la fantasy, parce qu’il y a du surnaturel et que le surnaturel forme vraiment une force agissante dans l’univers, je commence par une documentation assez approfondie. Les découvertes récentes sur l’Antiquité celtique vont souvent à l’encontre des clichés qui peuvent circuler, et en ce sens, l’Histoire peut paraître plus imaginaire qu’un certain nombre de lieux communs qui circulent, et dans l’Histoire que je vais puiser il y a quelque chose qui peut paraître exotique et imaginaire.

GdN : Est-ce qu’en allant à l’encontre des clichés, par exemple ici avec les Celtes, vous ne craignez pas de perdre la connivence avec le lecteur ?

JPJ : Si bien sûr. Aller contre un certain nombre de clichés, c’est toujours risqué avec le public, parce qu’on va aller contre des représentations qui nourrissent l’imaginaire. Mais c’est ce qui m’intéresse. Même si je suis très conscient d’écrire pour un public, j’écris avant tout pour moi, de façon très égoïste, et ce qui m’intéresse c’est de détourner en quelque sorte l’Histoire de sa vocation scientifique pour la transformer en objet de l’imaginaire. Et c’est intéressant quand on va distiller du merveilleux, du fantastique ou du surnaturel, dans le sens où l’on va brouiller les repères du lecteur. Ça permet de favoriser un certain brouillard narratif qui permet d’introduire de façon plus subtile ce qui relève clairement de l’invention de ma part ou ce qui relève du surnaturel. J’ai une approche du surnaturel qui emploie beaucoup de procédés du fantastique, avec une hésitation de la part du public sur la nature des faits qui se déroulent.

GdN : Une dernière question, concernant votre rapport au jeu de rôle. Vous êtes auteur de jeux de rôle à la base. George R.R. Martin est rôliste lui aussi (d’ailleurs il est éditeur d’une saga qui est tirée de son jeu de rôle, Wild Cards). À quel point pensez-vous que votre rapport au jeu de rôle participe à l’imaginaire que vous développez ?

JPJ : Alors déjà, j’éprouve une immense frustration parce ça fait des années que je n’ai plus le temps de jouer. D’autant plus que j’ai un projet de jeu de rôle qui permettrait d’avoir des règles dédiées pour jouer dans le Vieux Royaume, mais je n’ai pas le temps. Alors une fois tous les six mois, j’y travaille pendant quelques heures.

Mais je suis persuadé qu’il y a, dans l’imaginaire, une source commune aussi bien à l’imaginaire ludique qu’à l’imaginaire fictionnel. Pas forcément à toute littérature, loin de là, mais à la littérature de fiction. C’est valable bien sûr pour toute une génération d’écrivains rôlistes ou de rôlistes écrivains – pour moi ça circule dans les deux sens – à partir du moment où le jeu de rôle a existé en tant que tel, a été identifié. Mais j’en vois les traces de façon assez ancienne. Même avant que le jeu de rôle n’existe, quand on s’intéresse à une littérature qui n’est même pas une littérature de l’imaginaire, on se rend compte qu’il y a vraiment une circulation entre l’imaginaire ludique et littéraire. J’en ai trouvé des traces chez des auteurs plus anciens, même chez des auteurs assez surprenants. Quand on lit Les Mots de Sartre, autobiographie sur la naissance de la vocation d’écrivain, Sartre se décrit, enfant, en train de jouer, et il dit clairement que son personnage de roman, c’est sa poupée. C’est-à-dire que le personnage est le jouet de l’auteur, avec une identification en plus de l’auteur au personnage, qui en fait en quelque sorte le P.J., le personnage joueur de l’auteur. On trouve des idées un peu semblables formulées de temps en temps chez Nerval, qui dit qu’il a une écriture « super naturaliste », c’est-à-dire qu’il ne peut écrire qu’en se mettant à la place de son personnage. Même si ce n’est pas dans la même optique, on trouve des idées semblables chez Maupassant, qui, dans la préface de Pierre et Jean, dit que quand un romancier écrit, la question qu’il doit se poser c’est : « Si j’étais roi, voleur, (il donne aussi une profession féminine), qu’est-ce que je ferais ? ». Il se met à la place du personnage, ce qui est très étonnant sous la plume d’un auteur a priori identifié comme naturaliste.

Je vois même une trace très nette de cette circulation entre imaginaire ludique et imaginaire romanesque dans la littérature médiévale. C’est parfaitement net avec l’interactivité entre le public et la personne qui déclame le roman. Mais il y a aussi des anecdotes assez extraordinaires : les tournois qui deviennent les joutes à l’italienne à la Renaissance, où les chevaliers portent des costumes de héros de roman, de héros mythologiques. Et la forme la plus extrême est sans doute le « roman du Hem » qui est un tournoi qui a eu lieu à la fin du XIIIème siècle, il me semble, où les chevaliers, et en particulier le comte Robert II d’Artois, étaient déguisés en chevaliers arthuriens. Ce comte là jouait le rôle divin, le Chevalier au lion, et vous avez un ménestrel, sarrasin, qui a écrit le « roman du Hem », c’est-à-dire le roman de ce tournoi. L’imaginaire romanesque a été source d’un jeu de rôle, d’un jeu chevaleresque, qui lui-même est devenu sujet d’un nouveau roman. Donc ça veut dire que, de façon très ancienne, l’imaginaire romanesque a un imaginaire ludique. Donc pour moi, oui, il y a vraiment une circulation entre ces deux imaginaires, et c’est même plus ancien que la notion de jeu de rôle.

Propos recueillis par Nymphadora et Babar des Bois.

Retrouvez la plume de Jean-Philippe Jaworski avec notamment Gagner la guerre :

Couverture de Gagner la Guerre, Edition Folio SF

Couverture de Gagner la guerre, Édition Folio SF

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Compte collectif de La Garde de Nuit.

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