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Entretien avec James Hibberd (Le Feu ne tue pas un Dragon)

Entretien avec James Hibberd (Le Feu ne tue pas un Dragon)

For our English speaking friends, this interview is available in English.

En fin d’année dernière nous vous parlions – dans un article puis un podcast – du livre Le feu ne tue pas un dragon (Fire Cannot Kill a Dragon) de James Hibberd, ouvrage consacré aux coulisses de la série télévisée Game of Thrones. Le journaliste, alors à Entertainment Weekly, avait couvert tout au long de la décennie passée l’actualité de GoT et revenait dans ce livre sur cette expérience. Nous avons eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions – grâce à l’intermédiaire de Pygmalion, que nous remercions.

Parmi ses réponses, on trouve une petite précision sur les sujets préquels qui a le gout d’exclusivité : le projet d’adaptation de la Rébellion de Robert dont il était question il y a quelques semaines n’est finalement pas une idée d’HBO – et n’arrivera donc pas sur nos écrans ; il s’agit de la pièce de théâtre consacrée au tournoi de Harrenhal.

Sans plus attendre, voici notre entretien !

Vous, votre livre, et l’expérience Game of Thrones

Garde de Nuit : Dans votre livre, vous parvenez à alterner les réponses des différentes parties prenantes de la série, comme s’ils se répondaient les uns les autres. Mais comment se sont passées les interviews ? Aviez-vous un ordre préétabli des personnes à rencontrer ? Quelle était la durée de ces interviews ? Avez-vous posé les mêmes questions aux différents acteurs ? Le plan de votre livre était-il construit à l’avance (et les questions orientées en fonction de ce plan), ou est-ce que ce sont les discussions qui vous ont amené à choisir ce découpage ?

James Hibberd : Merci de me donner l’occasion de parler de mon livre, Le Feu ne tue pas un dragon (Fire Cannot Kill a Dragon). [Le découpage] était une partie délicate de l’écriture du livre, car le format “histoire orale” est censé donner l’impression que vous écoutez une conversation, même si tous les entretiens ont été menés séparément. Et dans ce cas, j’ai utilisé des centaines d’entretiens réalisés pendant une décennie. Certains ont été faits en face à face sur le plateau, d’autres par téléphone au fil des ans, et beaucoup ont été réalisés en 2019-2020 après le tournage de la dernière saison. Parfois, j’ai ajouté des citations tirées d’interviews d’autres médias – en indiquant la source – lorsqu’il y avait quelque chose de crucial qui manquait à mon propre reportage. Il s’agissait donc de tout un processus de collecte et d’analyse d’une grande quantité de matériel, puis d’essayer de rendre l’ensemble agréable à lire (beaucoup de reportages sur les coulisses sont très techniques et arides, et je ne voulais surtout pas d’un livre qui soit fatigant ou qui ressemble à une encyclopédie). Les entretiens post-saison 8 ont été les plus cruciaux, car je n’ai décidé d’écrire le livre qu’après la fin de la série, et j’avais à cœur de couvrir ce que j’avais laissé de côté – en particulier pour les premières saisons, avant que la série ne soit un énorme succès.

GdN : Y a-t-il des membres de l’équipe que vous auriez aimé interviewer mais que vous n’avez pas pu rencontrer (certains acteurs, des membres de l’équipe technique, Ramin Djawadi, les artistes qui ont conçu les décors ou les costumes…) ? Pouvez-vous nous dire pourquoi ? (Le livre aurait été trop long ? Ces personnes étaient indisponibles ?)

JH : La plus importante était Tamzin Merchant, qui était la toute première Daenerys Targaryen, dans la version abandonnée du pilote. C’était une interview que je rêvais de faire depuis une décennie. La bonne nouvelle, c’est que j’ai enfin pu lui parler – et elle a été merveilleuse – mais la mauvaise nouvelle, c’est que nous nous sommes parlés après la sortie de mon livre, et que ses commentaires n’ont donc pas été inclus dans le texte, mais vous pouvez retrouver cette interview en anglaisà l’adresse que voici.
J’aurais également aimé avoir Diana Rigg, qui est décédée l’année dernière – mais j’ai eu la chance d’obtenir de nombreuses histoires sur elle par d’autres personnes, et elles font partie de mes citations préférées du livre.
Il y a d’autres personnalités des coulisses, comme Djawadi et d’autres responsables de divisions, qui auraient pu être intéressants, mais j’ai décidé très tôt de me concentrer sur les acteurs, les scénaristes, les réalisateurs et les dirigeants de HBO. Cela permet au lecteur d’avoir un aperçu de toutes les grandes décisions créatives et commerciales qui ont eu un impact sur la série, ainsi qu’une idée de ce qui se passait dans les coulisses lors de la réalisation des moments-clés de la série. Toutefois, même en se concentrant “uniquement” sur ces rôles-là, le livre était déjà moitié plus long que ce que mon éditeur voulait initialement. Game of Thrones est une série tellement immense qu’il y a toujours une tentation, et même des raisons d’en rajouter, mais je voulais aussi écrire quelque chose qui soit facile et rapide à lire.

GdN : Vous avez été présent sur le plateau au fil des ans. Quelle a été votre expérience du phénomène qu’est devenu Game of Thrones avec le temps ? Avez-vous dû signer de votre propre sang un engagement de ne pas révéler certains secrets ? Avez-vous vu débarquer des hordes de fans que vous n’aviez jamais vues au cours des premières années ?

JH : C’était une expérience extraordinaire. J’ai été sur les plateaux de tournage de très nombreuses séries et de très nombreux films, et rien n’a été comparable à Game of Thrones. La production de haute qualité, la quantité de talents, le secret, le fandom, le niveau de passion des acteurs et de l’équipe, les conditions climatiques extrêmement difficiles dans lesquelles la série était parfois tournée. C’était la plus grande série du monde, et ils le savaient tous, et ça a créé une pression énorme pour que chaque détail soit parfait.
Quant au fait de garder des secrets, c’était de plus en plus stressant au fil des ans. Cela peut sembler idiot, mais après avoir été sur le plateau de la dernière saison, j’avais – alerte spoiler –  » Jon tue Daenerys !  » en tête lors de toutes mes conversations sur GoT, pendant un an, jusqu’à la diffusion du final, et j’avais toujours peur de laisser échapper quelque chose (mais je ne l’ai pas fait).

GdN : Depuis la fin de Game of Thrones, vous semblez toujours couvrir l’actualité liée à cet univers. Allez-vous faire pour House of the Dragon ce que vous avez fait avec GoT : suivre la production année après année ? Est-ce que cela vous enthousiasme ?

JH : Les studios [à Londres] n’ont pas autorisé les visites du plateau de tournage depuis le début de la pandémie, et on ne sait pas si ou quand cela sera à nouveau autorisé. J’espère continuer à couvrir la franchise, même si je ne sais pas si ce sera de façon aussi intense qu’avec la première série, qui était évidemment une aventure très spéciale. Mais actuellement, il y a beaucoup de projets passionnants, à gros budget et intéressants sur le plan créatif.

Parole à l’équipe

GdN : Dans votre livre, les showrunners expliquent qu’ils n’ont pas tenu compte de ce que les fans disaient à propos de la série, mais cela veut quand même dire qu’ils y prêtaient attention. Savez-vous s’ils ont changé certains de leurs plans lorsqu’ils pensaient que les fans avaient raison ?

JH : Les showrunners ont toujours affirmé avec force n’avoir jamais rien changé à cause des réactions des fans. Ça a souvent été perçu comme une posture anti-fan, mais c’était plutôt une manière de rester fidèle à leur ligne créatrice, sans être distrait par une mer d’opinions conflictuelles, émises par des gens qui ne savaient pas comment allait se terminer l’histoire. Par exemple : si les livres de GRRM n’avaient pas existé et que les producteurs avaient demandé aux fans, après l’épisode 8 de la saison 1, “Voulez-vous que Ned Stark meure dans l’épisode suivant ?”, 90% ou plus auraient probablement voté contre. Pourtant, personne aujourd’hui ne pense que c’était une mauvaise idée. Ce que les fans veulent à un moment donné n’est pas la même chose que ce dont une histoire ou un personnage a besoin ; c’est même souvent extrêmement différent, donc les auteurs ne doivent pas tenir compte du public, mais uniquement faire confiance à leur instinct et espérer qu’ils font les bons choix.

GdN : On découvre à travers les citations de votre livre que certains acteurs auraient eu la possibilité de développer leur propre vision de leur personnage. Y a-t-il eu des acteurs qui ont eu une influence majeure sur l’écriture de leur rôle ?

JH : Jason Momoa a apporté beaucoup de bonnes idées pour Drogo. Il a probablement connu plus de succès que beaucoup d’autres, parce qu’il était sur la première saison, à un moment où les producteurs s’interrogeaient encore sur la manière dont ils devaient écrire le show et ses idées étaient plutôt bonnes, comme d’ajouter un duel entre Drogo et Mago. Mais généralement, il n’y avait pas beaucoup d’espace pour les changements et l’improvisation puisque les scripts étaient écrits à l’avance et l’emploi du temps était chargé.

GdN : Pourquoi Stephen Dillane (interprète du rôle de Stannis Baratheon) n’apparaît-il pas parmi les personnes que vous interviewez ? Nous savons qu’il a parlé de sa mauvaise expérience dans GoT dans d’autres médias, mais l’avez-vous contacté ? Est-il vrai que D&D n’aimaient pas son personnage et que cela a eu des conséquences sur son traitement narratif dans la série ?

JH : Oh, j’ai essayé plusieurs fois d’avoir une interview avec Dillane. J’aurais adoré discuter avec lui. Il est plutôt timide face à la presse, de manière générale, et ne semble pas particulièrement enthousiaste à parler de GoT en particulier. Mais non, je n’ai jamais entendu que les showrunners n’aimaient pas son personnage.

A propos de George R.R. Martin

GdN : On sait que GRRM s’est exprimé, dans le livre, à propos d’une scène de la série qu’il n’a pas aimée. Vous a-t-il parlé d’une scène qu’il a au contraire préférée dans la série par rapport à ce qu’il a écrit ? Au-delà de ses satisfactions connues (costumes, décors etc…), a-t-il particulièrement aimé une scène ?

JH : George a souvent souligné le travail de la série quand il avait l’impression qu’elle améliorait ce qui est dans les livres. Par exemple la scène de décapitation de Ned Stark, ou la façon dont certains personnages sont écrits et interprétés, comme Shae ou Osha. Alors que la série est parfois critiquée pour l’image qu’elle donne des personnages féminins, Martin explique qu’elle a amélioré certains personnages féminins des livres.

GdN : Dans votre livre, beaucoup de citations de Martin parlent de ses inspirations historiques. Était-ce quelque chose qui revenait souvent dans vos discussions ? A-t-il insisté sur le fait qu’il s’inspirait de faits historiques ? A-t- il évoqué d’autres inspirations ou livres ? Par exemple, avez-vous pu voir sa bibliothèque et parler avec lui de ses livres ?

JH : Il a évoqué le sujet quelques fois, mais je pense que c’est plus moi qui orientait les questions sur ce genre de détails, sachant ce qui l’intéressait – et moi aussi. Je n’ai pas pu voir sa bibliothèque malheureusement.

Game of Thrones et son univers étendu

GdN : À propos de House of the Dragon : selon vous, y a-t-il des éléments qui feraient penser qu’HBO va faire un copier/coller de GoT ou au contraire est-ce que les nouveaux showrunners vont se détacher radicalement de GoT ?
Que pensez-vous de la possibilité de voir apparaître un univers étendu GoT ? Récemment, vous avez évoqué des discussions à propos d’une adaptation des aventures de Dunk et l’Œuf en série, quelque chose sur la rébellion de Robert, une série animée, ou encore plus récemment les projets sur Nyméria, Colys Velaryon et Culpucier. Etes-vous optimiste sur ces projets ?

Je suis très enthousiasmé par House of the Dragon. L’un des showrunners, Miguel Sapochnik, sait parfaitement ce qu’il fait dans cet univers et va apporter sa patte à la série. De plus, cette histoire contient beaucoup d’éléments qui ont fait le succès de la première série.
Le projet sur la Rébellion de Robert que j’avais déjà évoqué rapidement sera le sujet de la pièce de théâtre à Broadway, actuellement en production. Je suis également très enthousiaste pour celui-là. Si vous avez vu la pièce Harry Potter and the Cursed Child, vous savez que les effets spéciaux sur scènes, couplés à des nouveaux rebondissements pour les personnages préférés des spectateurs, peuvent rendre réel un monde de fantasy sur les planches.
Concernant les autres projets, je suis moins sûr l’heure actuelle mais je ne les exclurais pas par principe. Comme nous l’avons vu sur Disney+ avec Star Wars et Marvel, il est possible de développer une franchise de bien des façons, dans des formes nouvelles et inattendues.

GdN: Merci beaucoup pour votre temps et vos réponses !

James Hibberd, journaliste à The Hollywood Reporter

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Compte collectif de La Garde de Nuit.

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