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[On teste pour vous] « Les femmes de Game of Thrones »

[On teste pour vous] « Les femmes de Game of Thrones »

La questions de la place des femmes, dans les romans de George R. R. Martin, comme dans leur adaptation télévisuelle, a souvent été abordée que ce soit dans des articles, des émissions de radio ou de télévision. Il est indéniable donc, que quel que soit son format, la grande diversité des personnages féminins tout comme l’espace de narration qui leur est laissé dans la saga a toujours intrigué les commentateurs, même si notre cher auteur de Santa Fe a toujours clamé son féminisme en interview, notamment en affirmant que pour écrire ces personnages de femmes fortes, il suffit de les considérer comme des gens, tout simplement. Il n’est donc pas étonnant qu’un livre se penche sur l’analyse de ces personnages un jour, et en l’occurrence, c’est de leur version télévisuelle qu’il s’agit dans l’ouvrage de Gisèle Foucher, joliment illustré par Céllia Beauduc. On peut d’ailleurs saluer le travail d’Ynnis Editions sur la maquette du livre qui rend l’objet agréable en main. Pour autant n’est-il que cela, un bel objet ? Essayons de répondre à cette question !

Une grille de lecture commune…

Couverture de « Les femmes de Game of Thrones » par Célia Beauduc.

Soyons clairs, le livre n’est pas parfait, même s’il ne faut pas nier pour autant le travail de compilation de Gisèle Foucher. Elle choisit ici de s’intéresser à vingt femmes de la série, depuis Cersei Lannister et Daenerys Targaryen jusqu’à des personnages plus mineurs comme la Gamine abandonnée. Parmi les absentes, je me suis étonné de ne pas trouver Ros, qui représente un ajout quasi omniprésent des trois premières saisons et dont j’aurais trouvé l’analyse intéressante, d’une part parce qu’elle est un personnage qui n’appartient qu’à la version TV, mais aussi car elle est la seule (ou presque) à faire partie du peuple et à y rester alors que le panel présenté est plutôt consacré à la noblesse de Westeros (Essos n’est représentée que par Daenerys, une expatriée tout de même bien oustrienne et un peu par Talisa et Missandei, mais vite fait, tout de même).

L’enfilade de portraits est donc articulée autour d’une grille de lecture commune, dans laquelle Gisèle Foucher aborde pour chacune de ces femmes l’origine de son prénom, sa personnalité, son profil psychologique, son histoire, son rôle politique et militaire, sa relation aux enfants, aux hommes et aux femmes, les écarts principaux à son sujet entre livres et série, les anecdotes autour de l’actrice qui l’incarne et enfin, la problématique développée en introduction par Gisèle Foucher, à savoir : cette femme est-elle une super-héroïne ou/et une féministe ? Cette dernière question a, je dois bien l’avouer, fait grincer quelques-unes de mes molaires. En effet, je ne crois pas qu’aucun de ces deux termes puisse être appliqué de manière interne au monde de Martin. Les seules femmes qui peuvent être des super-héroïnes seraient celles qui ont des super-pouvoirs (donc Mélisandre et Daenerys si on compte sa relation aux dragons et sa résistance au feu… ce qui en fait peu). En entendant « pouvoir » en tant que terme politique, cela me semblerait tout aussi saugrenu, d’autant que souvent, derrière ce terme propre aux comics, Gisèle Foucher va chercher des qualités propres à l’héroïsme tout court (altruisme, courage, etc.) et donc le terme peut sembler étrange. Quant au féminisme, cette notion n’existe pas dans l’univers, mais certains personnages peuvent en incarner les valeurs. Tout de même, cela me semble bizarre de dire que Daenerys puisse être féministe, par exemple, car je ne suis pas sûr que son comportement relève de la conviction ou d’un « mouvement » d’émancipation, mais plus de réactions personnelles à différentes pressions sociales.

Concernant les autres catégories, elles ne sont pas inintéressantes, mais se poser la question de l’origine du prénom semble un peu vain une fois passée Cersei/Circé (le parallèle est trop bref, réduit à la simple question du patronyme, pour être vraiment consistant, d’autant qu’il est réfuté par Martin). Les différences série/livre amèneront peut-être quelques curieux à se pencher sur la saga papier. Quant aux coulisses de la série, elles comportent quelques anecdotes pas forcément dénuées d’intérêt, mais leur attachement aux acteurs plus qu’à ceux qui leur ont écrit le texte, m’a, je l’avoue, davantage renvoyé au magazine One qu’à un essai sérieux. On y sent Gisèle Foucher plutôt à l’aise, mais le fait d’appeler les acteurs par leur prénom, de se baser sur des éléments promotionnels et de traduire le tout dans des phrases très emphatiques a quelque chose de très adolescent.

…qui vire au remplissage

Le reste des catégories n’est guère passionnant, l’autrice se contentant de compiler l’histoire de la série pour chaque personnage, amenant des réflexions sur les rapports des personnages à leur monde que le spectateur attentif a déjà pu saisir à travers les scènes et les dialogues. Pour dire la vérité, après avoir lu deux portraits complets, j’ai fini par sauter les catégories Personnalité / Histoire qui représentent un bon morceau du livre quand on compte qu’un personnage comme Daenerys a droit à 12 pages de biographie. De même, j’ai fini par survoler les relations des femmes aux autres protagonistes. Je connais déjà bien la série, je n’ai pas besoin qu’on me la raconte encore. C’est donc là que Gisèle Foucher fait fausse route à mon sens : il n’y a que les fans de la série qui viendront lire son ouvrage, autant sauter les présentations et entrer dans le vif du sujet, à savoir l’analyse de la question de la femme dans et autour de la série.

De ce fait, on a surtout une impression de remplissage un peu inutile, renforcée par cette grille de lecture répétitive qui vient rendre les personnages quelque peu interchangeables et qui souligne assez peu cette diversité d’origines et de points de vue qui fait pourtant leur richesse.

De l’historique à l’inspiration

Melisandre et Ellaria Sand par Célia Beauduc. Crédits : Ynnis Editions.

La catégorie sur les « doubles historiques » n’échappe pas vraiment à cette sensation de remplissage, et montre en même temps l’échec de l’application d’une grille de lecture commune. Certains choix donnent l’impression que Gisèle Foucher force le trait et cherche à tout prix des doubles historiques, quitte à aller chercher des histoires très loin des époques pourtant admises par l’auteur comme sources d’inspiration, Joseph Bara vu comme le double de Lyanna Mormont, Ygrid et l’amérindienne Lozen ou Talisa et l’infirmière de la Première Guerre mondiale Edith Cavell. En soi, cela donne à rencontrer et découvrir des destins intéressants, mais on peut douter de la pertinence du propos quant aux rapprochements effectués avec Game of Thrones.

Par ailleurs, la catégorie finit par devenir un fourre-tout quand l’autrice se met à y coller de la fiction. Elle y aborde les Rois Maudits (lesquels se basent sur des faits historiques, certes, mais c’est bien la fiction de Druon qui a inspiré Martin à ce sujet), le conte Thibauld et Doralice ou encore le manga Lady Snowblood. L’ensemble est donc bancal, comme si l’autrice était prisonnière de sa propre grille.

Des réflexions éphémères

Ce qu’il manque, finalement à l’autrice, c’est d’aborder la série, eh bien… comme une série ! C’est à dire du point de vue du scénario, de la production, etc. Car si Gisèle Foucher pointe bien la question du viol à l’écran et sa représentation ambiguë dans sa conclusion, c’est peut-être de ce côté-là qu’il faudrait aller voir si le féminisme fait bien partie de Game of Thrones. Avec très peu de femmes dans les métiers de la production, on ne peut pas dire que la série fasse avancer la parité, en dépit d’une volonté évidente de montrer un empowerment des femmes en saison 6-7. Il y avait donc quelque chose à creuser de ce côté-là. Quelque part, le livre vendait dans son introduction une réflexion sur les femmes dans la série qui n’aboutit qu’à un catalogue de portraits.

Par ailleurs, pour un ouvrage qui se voudrait un essai, la gestion des sources est un peu aléatoire. Lorsqu’il s’agit des coulisses de la série, l’autrice cite en bas de page des articles (voire la promotion officielle) sans jamais les interroger. Sur les parties historiques ou faisant référence à d’autres ouvrages, c’est par contre le néant (en dehors du Theodora de Virgnie Girod à propos de Shae). Le livre n’affiche même pas un sommaire ou une bibliographie pour aller plus loin, ce qui manque cruellement.

En somme, vous ne passerez pas un mauvais moment en lisant Les femmes de Game of Thrones, mais force est d’avouer que si vous cherchez une analyse rigoureuse et savante de la place des femmes dans et autour de la série, vous serez forcément un peu déçus. Reste donc à savoir à qui s’adresse finalement cet ouvrage, puisque la plupart des informations contenues à l’intérieur, si vous avec vu la série, vous les connaissez déjà…

« Les femmes de Game of Thrones », de Gisèle Foucher (illustré par Célia Beauduc). Ynnis Editions.
320 pages, 15,95€

(*) Le livre a été transmis à la Garde de Nuit pour revue. Cette transmission n’a fait l’objet d’aucune transaction financière. L’avis publié ici est émis en toute indépendance.

La réponse de l’autrice

Suite à la rédaction de cette chronique, le site de la Garde de Nuit a exceptionnellement donné un droit de réponse à Gisèle Foucher.

Hé bien voilà, il fallait que cela arrive : une critique défavorable. Je suis désolée que mon livre n’ait pas plu à Crys et que mon analyse du sujet l’ait à ce point contrarié. J’ai expliqué pour ma part dans l’ouvrage ce qu’était, pour moi, le féminisme, et c’est avec ce point de vue que je me suis intéressée à ces femmes.

Mon objectif avec Les femmes de Game of Thrones était surtout de donner aux fans de la saga le plaisir de se plonger une nouvelle fois dans cet univers avec les yeux et le ressenti de chacun des personnages féminins choisis.

Je remercie en tous cas Crys d’avoir pris le temps de lire mon ouvrage, en espérant qu’il n’ait pas trop souffert.

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