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Recommandations d’avril : besoin d’évasion

Recommandations d’avril : besoin d’évasion

En cette période de confinement, on rêve tous d’évasion et de grands espaces pour s’éloigner de nos quatre murs. Les chroniqueurs de la Garde de Nuit vous proposent donc aujourd’hui de revenir sur des livres qui les ont emportés loin, loin, loin… Vous partez avec nous ?

Les Baladins de la Planète Géante de Jack Vance

Les Baladins de la Planète Géante, de Jack Vance

Les Baladins de la Planète Géante, de Jack Vance

Ce roman fait « suite » à La Planète Géante, qui m’avait laissé un sentiment mitigé. En réalité Les Baladins de la Planète Géante raconte une histoire indépendante, avec d’autres personnages et d’autres lieux, et c’est tant mieux car tous les éléments sont meilleurs : les personnages, la région traversée, et l’intrigue pleine de rebondissements, dans une atmosphère théâtrale au propre comme au figuré.

Sur le fleuve Vissel de la Planète Géante naviguent des troupes de théâtre itinérantes. Apollon Zamp, patron du bateau L’Enchantement de Miraldra, est l’un des meilleurs et rivalise continuellement avec Garth Ashdale. Tous deux veulent être sélectionné pour le grand concours de Mormune… Mais voilà, ils sont tous deux retors sous des dehors diplomates, et chacun est convaincu de sa supériorité artistique et de la vulgarité des pièces de son concurrent…
Zamp subira heurs et malheurs, et rencontrera lors de son périple Throdorus Gassom, directeur de musée encore plus fier et convaincu de sa culture voire un peu fat, ainsi que Dame Blanche-Aster, belle jeune femme distante et mystérieuse, intelligente et un brin manipulatrice. En réalité, dans ce microcosme de baladins, tout le monde est un peu roublard, tout le monde cherche à doubler l’autre. Il est souvent amusant de lire entre les lignes des conversations qui sont pleines de sous-entendus, et où les protagonistes mentent et insinuent que l’autre ment aussi… Et personne n’est dupe, les tromperies et les coups bas sont nombreux !

L’écriture est plus mature que d’autres romans de l’auteur. Les personnages sont hauts en couleur et approfondis sous des airs théâtraux plutôt amusants, l’atmosphère est parfaitement évoquée au détour d’une phrase, et les retournements de situations sont nombreux. Le comique de situation est présent maintes fois dans cet ouvrage, contribuant à donner un ton pittoresque à ce voyage qui se déroule dans des décors et des paysages fruits de l’imagination débordante de l’auteur.

Dans ce contexte de comédie truculente, l’auteur n’hésite pas à se faire chamailler (il n’y a parfois pas d’autres mots) les protagonistes pour savoir quel type de pièce présenter, entre la farce qui attire le tout-venant, et la pièce classique qui élève les esprits mais qui est moins commerciale. Question récurrente pour toute personne qui aimerait promouvoir la culture !

Un très bon Jack Vance !

FeyGirl

La forêt des renards pendus d’Arto Paasilinna

Couverture de « La forêt des renards pendus » d’Arto Paasalinna.

On a tous un jour entendu parler d’Arto Paasilinna et son fameux Lièvre de Vatanen. Certains l’ont même lu, parfois en lecture obligatoire au collège, d’autres non. Toujours est-il que j’aurais pu vous proposer cette escapade de Vatanen et son célèbre lagomorphe en guise d’évasion, mais ce roman-ci de l’auteur finnois Arto Paasilinna m’a davantage touché. Une lecture brève, enthousiasmante, pleine de bons sentiments, quelque part entre le confinement et l’expédition en pleine nature. Mais reprenons par le menu : de quoi est-ce que ça cause, au-delà de ce titre un brin macabre ?

Rafalel Jutunen, gangster de son état, possède de l’or. Plusieurs lingots d’or. Mais, en bon gangster, il ne désire point les partager avec ses complices qui sortiront prochainement de prison ; solution : fuir dans les forêts de Laponie, tourner le dos à la civilisation, mais conserver les précieux lingots. Il sera vite rejoint par un militaire, ainsi que par une lapone âgée et son vénérable matou. Ces trois improbables compères se retrouvent forcés de cohabiter dans leur cabane au bout du monde, pour le meilleur, comme pour le pire.

Il n’y a pas grand chose à dire de plus, mais si vous cherchez une lecture feel good, de grands espaces et un huis-clos en même temps, le tout enrobé d’une fable écologique comme savent si bien les tourner les auteurs scandinaves, vous avez frappé à la bonne porte. La lecture sera brève mais riche en émotions, avec à la sortie, une petite envie de claquer la porte pour aller vivre quelque part, là-bas, ailleurs, en tout cas loin des rues et de la ville.

Crys

Manesh de Stefan Platteau

Manesh de Stefan Platteau (éditions J’ai Lu)

Partons désormais en forêt dans un monde de fantasy qui n’est pas tout à fait le nôtre, mais qui est fait de mythes et de légendes.

Dans une forêt nordique, un petit groupe d’hommes remonte un fleuve pour trouver le « Roi diseur », un oracle des temps anciens qui pourra les aider à infléchir la guerre qu’ils mènent. En chemin, il sauvent le mystérieux Manesh, qui va leur conter l’histoire de sa vie et ses péripéties pour en arriver au moment fatidique où ils l’ont sauvé.

Très joli roman, Manesh nous transporte au milieu des dieux, des géants et des mystères. Parfois sombre, parfois onirique, on est happé dans un monde riche et dur, et on est en immersion totale avec les personnages. Stefan Platteau, que nous avions interviewé et qui nous confiait son amour des grandes épopées, réussit à insuffler à son récit un vrai souffle poétique, et nous fait vivre un voyage envoûtant aux côtés de personnages dont on veut toujours savoir plus.

J’avoue avoir eu parfois du mal avec le rythme du récit, qui alterne entre passé (avec l’histoire de la vie de Manesh) et présent. Autant l’histoire au présent me passionnait, autant certains détours de la vie de Manesh m’ont semblé parfois un peu longuets. Mais il n’en reste pas moins un très beau livre, plein de poésie, avec une intrigue qui se dévoile et se complexifie au fil des pages, et une plume de l’auteur riche et évocatrice. Un formidable récit pour s’éloigner de son quotidien et se plonger dans un autre monde qui ne vous quittera pas facilement.

Nymphadora

La Trêve de Primo Levi

La Trêve, de Primo Levi


Il y avait certes plus joyeux et peut-être plus spectaculaire pour le thème « Evasion », mais j’ai choisi ce livre en particulier, car malgré le contexte historique qui le sous-tend, La Trêve est un court roman empreint de beaucoup d’humanité.
Le livre le plus conne de Primo Levi, Si c’est un homme, raconte l’expérience concentrationnaire d’un Juif italien de Turin à Auschwitz. La Trêve est en quelque sorte la suite : il s’agit de la chronique du retour du narrateur dans son pays natal. Après la fuite des nazis devant l’avancée des Alliés, le narrateur se retrouve désormais « libre ». Il entame avec d’autres rescapés un long voyage vers l’Italie. Ils se retrouvent ballottés d’un camps de réfugiés à l’autre, et cela, sous la surveillance et l’accompagnement de la mystérieuse et impassible Armée rouge qui ne leur facilitera pas leur retour. Bloqués des mois en Pologne, puis en Russie, ces rescapés forment une pagaille éclectique : voleurs, brigands, contrebandiers, nomades… Le narrateur côtoie les figures et y apprend l’art du marchandage et du trafic pour survivre dans ces pays ravagés par la guerre.
La Trêve est un roman picaresque : le narrateur va de péripéties en péripéties, qui dureront dix mois, pour arriver à rejoindre sa patrie. Le récit est terriblement authentique : ces hommes détruits par la guerre retrouvent peu à peu leur goût de vivre (et de voler pour survivre) dans la toile de fond d’une Europe centrale ravagée. L’écriture est intelligente et sans jugement. Un récit plein d’espoir et de compassion.

O’Cahan

Dans les geôles de Sibérie, de Yoann Barbereau

Dans les geôles de Sibérie, Yoann Barbereau

Dans les geôles de Sibérie, Yoann Barbereau.


Parlons d’évasions. Il y en a partout dans ce livre. Dès le premier chapitre, on s’évade dans les grands espaces russes, sur le Baïkal, « un lac grand comme un pays ».

« En Sibérie, quand l’humidité est suffisante, quand les températures sont très basses, on peut voir apparaître dans l’air commeune poudre de diamant. la vapeur d’eau qui nous entoure, invisible d’ordinaire, se transforme en une infinité de cristaux de glace. Le monde scintille. »

Dès le deuxième chapitre, on est arrêté, bastonné, emprisonné, accusé. La suite nous emporte dans les geôles de Sibérie. La prison centrale d’Irkoustk, sa quarantaine et ses gardiennes qui font la fête aux détenus un soir de Saint-Valentin.

« Écarte les jambes! Écarte plus, crétin! Je reçois un coup de matraque à l’endroit attendu, suivi d’un autre dans le dos, une invitation à se redresser. Une main me cogne la tête contre le mur et m’attache les poignets à la barre de fer. Bien droit ! La discussion s’engage entre les deux professionnelles, il est question du dressage des macaques, du bétail et des animaux de cirque. C’est long. C’est la Saint-Valentin. Les gardiennes ont décidé de se divertir ou de se venger, peut-être les deux. On ne sait pas. Tout se passe dans les rires, la musique, la rage et les chants. Les cris sont étouffés. C’est long. La souffrance monte dans le ventre, ça monte jusqu’au fond de la gorge. Il y a un goût de vomi. C’est long. »

La cellule 645, sa loi mafieuse, sa morale de bandits « aussi grotesque que la bigoterie d’église, de mosquée ou de synagogue. La cellule 122. L’hôpital psychiatrique. L’assignation à résidence, avec bracelet électronique, en attente de procès.
L’évasion. La première.

« C’est assez. Voila plus d’un an que je vis avec un bracelet autour de la cheville. Il faut fuir. Il est temps. » (…) Il est 7h57. Le rendez-vous est à 8 heures. Un chien glapit. A 8h09, le monde est devenu intolérable. »

Ne racontons pas tout. Il y a beaucoup de choses dans ce livre. Une histoire vraie, qui commence le 11 février 2015, quand le français Yoann Barbereau, directeur de l’alliance française d’Irkoutsk, est arrêté par les services russes. Du maquillage littéraire, pour laisser dans l’ombre les complicités, les choses impossibles à révéler. Un procès Kafkaïesque. Michel Strogoff. L’incarnation terrestre de Béhémot, le chat géant et diabolique du Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov. Les grands espaces de Sibérie, les toutes petites cellules dont il faut s’évader, par les livres ou avec ses pieds et ses amitiés. D’autres auteurs et d’autres personnages issus de la littérature russe. On y croise même les sœurs Stark. Découvertes avec Game of Thrones lors de l’année d’assignation à résidence, elles sont convoquées comme anges gardiens, au pire moment de la première évasion, quand Yoann Barbereau traverse la Russie en Blablacar, sous l’identité de Landov, citoyen suisse, avec des compagnons de hasard qui ne savent rien de lui.

« L’hommme est doux, reconverti dans l’élevage canin, il se prénomme Azat. Au petit matin, à 5 heures, un nouveau chauffeur mènera Landov jusqu’à Moscou. En attendant, il est attablé dans un café avec le repenti à la longue barbe, ils fument un narguilé en buvant une décoction de plantes et d’airelles. Ils sont seuls. Dans quelques minutes, la situation va dégénérer. Un homme entre en compagnie d’une femme qu’il est impossible de ne pas voir. Les hommes ont tous des cervelles reptiliennes, alors elle offre sa poitrine, exagère sa cambrure, sa robe vermeille fait le reste. Le petit être qui l’accompagne porte un survêtement assorti à la robe, avec trois bandes blanches sur les épaules. Une ivresse simple et mauvaise monte en lui, les gestes sont brusques, la parole est haute, belliqueuse. (…) Landov se lève, fait signe à Azat. Pas le moment de donner dans le concours de virilité. (…) Dans son dos, il ne voit pas la teigne s’approcher, avec en main le petit chalumeau qui sert à enflammer le charbon des narguilés. Landov tourne la tête, il esquive. (…) Il frappe sec. (…) C’est la violence, ce moment où l’on perd la tête en tranchant celle de l’autre. On devient l’intraitable Judith de Béthulie décapitant le général Holopherne, on libère une ville et un orgasme, on jubile, on jouit comme un petit fille vengeresse, on devient Arya Stark lorsque sa lame s’enfonce dans les chairs de ses ennemis ; elle essuie son épée sur le cadavre, et durant cette seconde, nous sommes aussi le sourire repu de Sans Stark, sa sœur, nous sommes son pas léger lorsque, tournant le dos à la cage où croupit son bourreau, elle entend des cris d’épouvante mêlés aux aboiements des chiens en train de dévorer.

« Tout le monde exigeait un livre », écrit à un moment Yoann Barbereau. Il est écrit. Il est excellent. Lisez-le.

DNDM

Conclusion

Si rien de tout cela ne vous parle, n’hésitez pas à consulter l’annuaire de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit.

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Compte collectif de La Garde de Nuit.

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