Le sujet revient très régulièrement sur le tapis. Que ce soit sur le discord de la Garde de Nuit, en commentaire de nos vidéos, sur nos réseaux sociaux,… l’idée est régulièrement suggérée : dans un futur – qu’on espère le plus lointain possible – Brandon Sanderson pourrait-il être amené à achever le cycle du Trône de Fer ?
Tout récemment, à la Worldcon, une personne a, de façon très impolie, alpagué Martin à ce sujet. Nous ne reviendrons pas sur l’incident, mais la question étant assez récurrente, parlons de ce mythe urbain, qui veut que Brandon Sanderson, qui a terminé la saga de la Roue du Temps au décès de Robert Jordan, soit de fait LA personne qui finira le Trône de Fer. On vous explique pourquoi ce n’est pas le cas.
↑Sanderson a dit qu’il refuserait cette tâche
La question a déjà été posée à Brandon Sanderson, et il y a répondu sans équivoque, il y a déjà quelques années, sur Reddit :
Est-ce que le fait d’être un mormon fervent vous conduirait à censurer les thèmes adultes d’ASOIAF si vous étiez appelé en renfort pour cette saga ?
Censurer ? Un mot étrange à utiliser, mais peut-être approprié ici. Je ne censure pas mes propres écrits, j’écris simplement ce qui me semble juste et approprié. Mais si j’écrivais pour cette saga et si je n’incluais pas cela… hmm, oui, peut-être que ce serait le bon terme.
Mais la question est sans objet, car je refuserais de terminer ASOIAF, si on me le demandait (et je ne pense pas qu’on me le demanderait.) Je déclinerais respectueusement. Je ne serais pas la bonne personne pour faire ce travail, pour de nombreuses raisons. Je ne voudrais pas inclure le contenu explicite que la saga a, en partie du fait de ma foi religieuse, oui, et en partie simplement de par qui je suis. Je n’évite pas les thématiques difficiles, mais je préfère ne pas être explicite. Honnêtement, quand je les lis dans l’œuvre de George, je grimace souvent. Je ne pense pas que cela soit approprié dans la prose de manière générale ; ça me semble de mauvais goût. Mais c’est presque à 100 % dû à mes penchants religieux. Je suis conscient que les autres ne ressentent pas la lecture de telles scènes comme moi.
Cependant, à mon avis, ce n’est en fait qu’une raison mineure pour laquelle je ferais un mauvais écrivain pour cette saga, malgré le respect énorme que j’ai pour GRRM et son talent de conteur.
La raison principale réside dans l’opposition fondamentale entre optimisme et pessimisme. Il y a de l’obscurité dans mes livres, mais c’est l’obscurité traitée comme contraste avec la lumière, et il y a toujours une étincelle d’espoir. Le travail de George semble fondamentalement pessimiste, ce que je ne dis pas comme une critique. L’une de mes nouvelles préférées est Pauvre Surhomme [Harrison Bergeron en version originale, nouvelle de Kurt Vonnegut Jr], qui est également fondamentalement pessimiste. Dire que le travail de George est pessimiste ne signifie pas que LUI est pessimiste, seulement qu’il crée une œuvre d’art qui évoque des émotions et des discussions par des thématiques pessimistes.
À titre de comparaison, je suis heureux que la science-fiction de l’âge d’argent ait produit à la fois Pauvre Surhomme et Star Trek, mais je suis dans le camp de Star Trek, pas dans celui de Pauvre Surhomme. Faire appel à moi pour travailler sur cette œuvre reviendrait à faire appel à Spielberg pour terminer un film de Tarantino (sans prétendre à pouvoir être comparé avec l’un ou l’autre). Bien sûr, il pourrait le faire, mais ne préféreriez-vous pas quelqu’un dont les thèmes des films sont proches de ceux de Tarantino ?
Mon œuvre est également fondamentalement différente de celle de George par notre utilisation de la magie. Nous avons parlé ensemble de nos livres, et il souligne (à juste titre) le fait que j’ai souvent recours à des éléments puissants de magie dans mes histoires, en particulier dans mes fins. Cela est dû au fait que j’écris des hybrides de science et de magie, et que l’idée de la magie comme progrès me fascine. George, lui, préfère que sa magie soit ésotérique, inconnue et sombre, non pas un outil, mais une force que vous pouvez parfois (avec vos risques et périls) utiliser. C’est un détail, car j’aime les livres qui utilisent la magie différemment, mais j’ai juste fait un choix stylistique dans la façon dont je fais ce que je fais.
En tout cas, j’espère que cela vous éclaire. On m’a posé cette question (ou des questions similaires) assez souvent que je considère nécessaire d’y donner une réponse approfondie.
Donc Sanderson dirait non si on lui demandait… Et il est déjà bien occupé par ses propres écrits de toutes façons ! Il a certes un rythme d’écriture qui laisse rêveur tout fan du Trône de Fer qui attend TWOW depuis 14 ans… mais il a du pain sur la planche ! En 2016, il envisageait 40 livres dans son univers du Cosmere. Aujourd’hui, 24 romans sont parus. Il est très loin du jeune auteur débutant qu’on avait contacté à l’aube de sa carrière pour achever la Roue du Temps et connaît aujourd’hui un succès florissant, avec de nombreux romans à écrire dans son propre univers.
↑Martin ne souhaite pas que l’on prolonge son œuvre
Martin a toujours été assez clair : il ne souhaite pas qu’un autre auteur s’empare de son univers. Il est en particulier notoirement opposé à la fanfiction dans son univers. Ses oppositions sont d’ordres littéraire et juridique. A des jeunes écrivains, il disait en 2019 ces mots :
Je ne pense pas que [la fanfiction] soit une bonne manière de se former à devenir écrivain professionnel, d’emprunter le monde et les personnages de quelqu’un d’autre. C’est comme faire du vélo avec les petites roues. Quand j’ai enlevé les petites roues, je suis tombé souvent… mais il faut bien les enlever à un moment donné. Vous devez inventer vos propres personnages, vous devez créer votre propre monde, vous ne pouvez pas simplement emprunter à Gene Roddenberry ou à George Lucas ou à moi ou à qui que ce soit.
Et l’autre chose, c’est qu’il y a toutes sortes de problèmes de droits d’auteur lorsque vous utilisez l’œuvre d’autres personnes… Ce que je cmoprends de la loi, c’est que si j’apprends [qu’on utilise ainsi mes écrits], je dois tenter d’y mettre fin ; alors ne m’en parlez pas et faites ce que vous voulez.
Interrogé sur une éventuelle participation de Ty Franck et Daniel Abraham [auteurs de la saga The Expanse sous le pseudonyme de James S. A. Corey, et qui ont longtemps travaillé aux côtés de GRR Martin en tant qu’assistants ou co-auteurs], il disait en 2015 qu’il n’autoriserait pas une telle collaboration. Et plus tôt, en 2013, il avait déjà pris position :
Je n’imagine personne d’autre écrire (légalement) dans cet univers. Pas tant que je serai en vie. Mais un jour, je ne serai plus en vie : Valar Morghulis – tous les hommes doivent mourir.
Je ne pense pas que ma femme, si elle me survit, permettra cela non plus. Mais ce que l’histoire nous a montrée, c’est qu’à la fin ces droits littéraires sont transmis aux petits-enfants ou aux descendants indirects, ou à des personnes qui ne connaissent pas réellement l’écrivain et qui se moquent de ses souhaits. Ce n’est qu’une vache à lait pour eux. Et c’est ainsi que nous obtenons des abominations à mes yeux comme Scarlett, la suite d’Autant en emporte le vent.
Je détesterais vraiment voir cela. J’ai toujours admiré [J.R.R.] Tolkien et son immense influence sur la fantasy. [Et] bien que je ne l’aie jamais rencontré en personne, j’admire Christopher Tolkien, son fils, qui a été le gardien de l’héritage de Tolkien et qui n’a jamais permis cela.
Notons quand même qu’en 2010, Martin a affirmé que, s’il se trouvait dans la même situation que Robert Jordan, il tâcherait de mettre en place un plan de secours. En 2006, l’auteur de la Roue du Temps avait en effet annoncé être atteint d’une maladie orpheline rare et grave, l’amylose, avec une espérance de vie moyenne de quatre ans. Il a finalement été emporté par la maladie le 16 septembre 2007, mais il avait pris des dispositions, avec sa femme et éditrice Harriet McDougal, pour que quelqu’un poursuive et achève sa saga. C’est donc en l’occurrence Brandon Sanderson qui fut choisi pour cette tâche.
Pendant la première séance de questions-réponses, quelqu’un a demandé s’il avait des plans au cas où « il ne pourrait pas terminer la série ».
George a demandé qu’il soit déshabillé et jeté dehors dans la neige.
Il a ensuite répondu : « Au moins, tu n’as pas dit « faire un Jordan » ». Il a affirmé ensuite qu’il n’avait aucun plan, mais que, s’il se trouvait dans une situation comme celle de Jordan, il pouvait imaginer préparer un plan de secours.
Une situation hypothétique que personne ne souhaite, et une position sur laquelle il peut revenir, rappelons-le aux commentateurs morbides qui pullulent sur les réseaux sociaux. Longue vie à George, heureux, et en bonne santé, avec ou sans TWOW !
