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Entretien avec… Aurélie Wellenstein

Couverture entretien aurelie Wellenstein

Aurélie Wellenstein devant le barral à l’Ouest Hurlant 2023

A l’occasion de l’Ouest Hurlant 2023, la Garde de Nuit a eu la chance de voir en dédicaces ou en table ronde des autrices et auteurs de l’Imaginaire en France. Nous avons organisé un échange avec Aurélie Wellenstein, qui a gentiment accepté de nous rencontrer, et dont nous vous proposons ici une retranscription.

Aurélie Wellenstein est une autrice française de l’imaginaire, avec des romans qui explorent différents genres, parfois relevant plutôt de la fantasy, mais également la science-fiction, le fantastique, etc. Elle écrit pour différents publics, avec des romans adultes, parfois classés Young Adult, et d’autres pour la jeunesse. Elle est régulièrement récompensée pour ses écrits (prix des Halliennales en 2015 pour Le Roi des fauves, prix Elbakin du meilleur roman jeunesse en 2016 pour Les Loups chantants, auteur coup de cœur des Imaginales en 2017, prix Imaginales des bibliothécaires et le prix littéraire de l’Imaginaire Booksphere pour Mers mortes).

Garde de Nuit (GdN par la suite) : Première question qui est toute simple : avez-vous lu les œuvres de George R R Martin ? Est-ce qu’elles vous ont parlé ? Est-ce qu’elles ont résonné avec vos propres écrits ?

Aurélie Wellenstein (AW par la suite) : Oui, je les ai lues au début des années 2000. J’avais une vingtaine d’années, et je les ai lus à un moment où je n’écrivais pas. Cela a été une révélation. J’ai beaucoup appris avec lui, notamment au niveau des descriptions. Ses descriptions sont visuelles, sensuelles, elles vous immergent dans son univers. Je trouve également formidable sa gestion des dialogues. C’est exactement comme cela que j’aime écrire un dialogue, en entrelaçant l’oralité et la description. Le dialogue est toujours en train de faire avancer l’action ; d’un point de vue technique, j’ai trouvé ça passionnant.

J’ai relu Le Trône de fer plus tard, quand j’écrivais et de nouveau, je pense que mon écriture a été innervée par celle de George R. R. Martin. C’est pour moi une influence et un très beau modèle.

GdN : Est-ce que vous l’avez lu en français ou en anglais ?

AW : Je l’ai lu en français, je sais que la traduction est critiquée ; pour ma part j’ai trouvé ça vraiment super.

GdN : Est-ce que, inversement, il y a des choses qui vous semblent à ne surtout pas reproduire de l’écriture de Martin ?

AW : Non. Non. Je ne sais pas si d’autres ont évoqué quelque chose.

GdN : Ce que certains disent c’est que le contre-exemple de Martin c’est d’éviter de trop se perdre, éviter d’ouvrir trop de portes.

AW : : Oui c’est sûr que beaucoup de portes sont ouvertes, l’avenir nous dira si elles se fermeront un jour ou non. Personnellement, je ne suis pas très optimiste. Je crois qu’il y a sur les épaules de cet homme une pression inhumaine. Je ne suis pas certaine qu’aujourd’hui il puisse achever cette œuvre, qui lui échappe d’une certaine manière parce que le monde entier attend la suite. La pression est vraiment terrible.

Par rapport aux portes ouvertes, je comprends la critique mais j’aurai du mal à critiquer son œuvre. Qui est-on pour critiquer l’œuvre de George Martin ?

GdN: Surtout pas nous (rires). Sur l’idée d’une saga, avez-vous déjà eu l’idée d’en écrire une ? La plupart de vos œuvres sont des one shots, avec une duologie, L’Épée, la famine et la peste.

AW : Je ne pense pas en avoir les capacités. Mon dyptique est une exception dans ma bibliographie. Mais ne jamais dire jamais !

Dans le cas de L’Épée, la famine et la peste, le dyptique était une forme évidente à mes yeux. Ce n’est pas un gros tome coupé en deux. C’est une histoire construite autour d’un retournement. Le tome 2 apporte un éclairage différent sur le tome 1, les points de vue vont tourner, il y a un pivot entre le tome 1 et le tome 2.
Bien sûr, rester longtemps dans un univers permet d’approfondir les personnages, s’attacher à eux en tant qu’auteur, en tant que lecteur, et les suivre sur le long cours. Mais d’un autre côté, j’aime changer d’univers et d’environnement d’un livre à l’autre.

C’est d’ailleurs ce qu’on trouve chez Martin ! Il y a des ambiances tellement différentes d’un pays à l’autre, il y a ce plaisir du voyage, avec l’ambiance du Nord, la sécheresse du Sud. C’est peut-être ça qui est aussi plaisant chez lui, de voyager.

GdN : Vous avez un personnage ou un lieu préféré dans la saga ?

AW : Alors moi c’était Arya. Je pense qu’elle a beaucoup de fans.

GdN : Et des détracteurs aussi (rires)

AW : Dans le même genre, j’aimais aussi beaucoup Daenerys !

GdN : Est-ce que certains ont pu vous inspirer dans vos œuvres ?

AW : Oui, très certainement. Peut-être plus du côté des personnages. Dans mon roman pour les enfants Chevaux de foudre, un personnage était brûlé par la foudre, donc clairement il était inspiré par le Limier. C’était en plus un personnage qui faisait peur à la jeune héroïne. Dans L’Épée, la famine et la peste, un personnage porte un casque de loup, c’est aussi quelque chose qui provient du Trône de fer. Et aussi de Berserk [manga de Kentarō Miura], pour l’amure du loup. Peut-être aussi que parfois on n’en a même pas conscience.

GdN : Est-ce qu’il y a des moments où vous vous rendez compte après coup que quelque chose vous a inspiré sans en être consciente ?

AW : Je crois que quand on écrit, il y a ce qu’on appelle le Zeitgeist, l’esprit du temps, qui nous traverse tous, et on peut avoir des idées similaires sans s’être du tout consultés ou influencés l’un l’autre. Hier encore, on m’a dit qu’une scène d’un de mes livres faisait penser à Fiona McIntosh, alors que je n’ai pas lu cette autrice ! Il y a cet inconscient collectif qui traverse les histoires.

GdN : Nous on en souffre un petit peu, on a tendance à sur-analyser beaucoup de choses de l’auteur, en se disant qu’il s’est inspiré de ceci ou de cela. Et quand on pose la question à l’auteur il répond, généralement : « Ah bon ?».

AW : Oui, je ne suis pas étonnée.

GdN : Dans le Trône de fer, on retrouve des personnages assez remarquables dans leur construction, les tomes permettent de bien les développer. C’est également quelque chose que l’on retrouve dans vos livres, même en one shot. Il y a un gros travail sur les personnages, leur psychologie, avec des personnages gris.

AW : C’est un aspect du Trône de fer qui est passionnant : le développement des personnages, très fouillés, avec cette idée qu’il n’y a pas de bien ou de mal. C’est quelque chose qui m’intéresse personnellement et que je travaille dans mes romans, notamment dans le diptyque, et aussi dans Yardam où l’on suit des trajectoires psychologiques. Cet intérêt me vient aussi du travail que j’ai fait à l’hôpital. J’y ai appris à ne pas juger les gens et à prendre en compte toutes les facettes de leur vie. C’est quelque chose qui m’a beaucoup enrichi humainement. Peut-être plus que la lecture. Me confronter à une diversité d’opinions, de points de vue et surtout de vécus des personnes, de leurs trajectoires personnelles. Cela a beaucoup nourri mes textes.

GdN : Cela se ressent complètement dans vos livres, dont chacun présente un combat d’une ou plusieurs personnes contre l’affliction mentale, la maladie, des gens qui se battent contre quelque chose, il y a l’idée d’un combat qui est désespéré mais pas forcément désespérant. C’est sombre mais il y a toujours une lueur d’espoir, et c’est beau à chaque fois.

AW : Merci ! Le Roi des fauves est un de mes premiers romans, c’est de la dark fantasy assez pur jus. Depuis j’apporte plus de lumière dans mes romans de dark fantasy. C’est le cas de L’Épée, la famine et la peste, qui est davantage traversé par des rayons de lumière. Les personnages s’entraident, ont des constructions solidaires. Dans Le Roi des fauves, c’est le chemin inverse, on a au départ des personnages qui sont très soudés et le trio va éclater à cause de ce qu’il leur arrive. Dans L’Épée, la famine et la peste, il y a trois personnages qui ne se connaissent pas et vont s’associer.

GdN : Dans Mers mortes aussi il y a l’idée d’une rencontre.

AW : Oui, dans Mers mortes ce sont vraiment des évolutions, le personnage principal a des convictions qui vont être déconstruites par l’aventure. On est sur des principes écologiques qui sont mis en scène avec le prisme du fantastique, de la fantasy. Pour le pitcher rapidement : l’Homme a tué la Mer et la Mer revient se venger des humains sous forme de fantôme. Le personnage principal est un exorciste, qui exorcise les poissons fantômes et il va se rendre compte que les choses sont peut-être plus compliquées qu’elles n’y semblent.

GdN : Dans le Trône de fer, il y a un certain nombre de parcours de déconstruction, est-ce que c’est quelque chose qui vous parle ?

AW : (réfléchit)

GdN : Vos personnages masculins par exemple ont beaucoup de facilités à se parler à cœur ouvert, on pourrait les qualifier de déconstruits, est-ce que c’est quelque chose de conscient en les écrivant ?

AW : C’est quelque chose qui me plait, de mettre en scène ce type de personnages hommes. Pour le Trône de fer, je ne sais pas trop.

GdN : On peut penser par exemple à Sansa qui commence à se déconstruire. Jaime aussi, il a le parcours de déconstruction le plus important peut-être, mais on ne sait pas jusqu’où il va aller.

AW : Je le fais aussi dans mes livres. Ce que j’aime bien faire, de manière un peu taquine, c’est que l’on se fasse une opinion d’un personnage, par exemple Bengale dans Mers mortes, qui commence en étant clairement un antagoniste.

GdN : Un capitaine pirate pas très gentil.

AW : Et en fait, l’histoire va nous montrer une nouvelle dimension du personnage. C’est pareil dans Yardam, le personnage principal est compliqué à suivre, il fait des choix qui sont amoraux, on se dit que c’est un salaud. Mon idée, c’est qu’en avançant dans la lecture vous vous dites « En fait je te comprends ». Encore une fois, c’est le même type de trajectoire, de retournement, de renversement dans L’épée, la famine et la peste. C’est vraiment un roman de point de vue. Ce que j’aime également, c’est voir les personnages à travers les yeux d’un autre, comment il le perçoit, …

GdN : Est-ce que c’est une technique différente sur le point de vue ? Est-ce que cela soulève des questions, des difficultés différentes pour l’auteur par rapport à un récit plus linéaire ?

AW : Oui, au début, je n’aurai peut-être pas été capable de gérer différents points de vue. Quand vous incarnez des personnages différents, il faut que cela soit pertinent, que l’on sente que ce n’est pas la même voix, que ce sont des psychés différentes, des personnalités différentes qui s’expriment, et ce n’est pas facile à faire. Évidemment, c’est ce que fait avec merveille George Martin avec son roman choral. Moi au maximum j’ai tourné sur 4 ou 5 points de vue dans L’Épée, la famine et la peste, et pour l’instant je n’ai pas fait plus. J’aime bien les trinités et donc tourner sur 3 points de vue.

GdN : Techniquement, vous travaillez en alternant l’écriture des points de vue ou plutôt point de vue par point de vue ? On sait que Martin travaille le parcours d’un personnage puis il va se mettre dans la peau d’un autre, et ensuite va chercher à nouer les liens. C’est aussi cela qui parfois provoque des difficultés, car il se rend compte qu’il y a des storylines à redresser et beaucoup de choses à éditer.

AW : De manière beaucoup plus simple, j’ai testé les deux méthodes. Dans L’Épée, la famine et la peste tome 1, je tourne sur 3 points de vue que j’ai écrits dans l’ordre des chapitres, avec les points de vue qui alternent. Et au contraire dans le roman que je corrige actuellement, j’ai écrit les points de vue linéairement, chacun de manière complète avant d’écrire le suivant (il y aura 3 points de vue en tout). J’ai testé les deux méthodes et il n’y en a pas une meilleure que l’autre, à mon sens.

GdN : Est-ce que l’on peut avoir une petite information sur votre prochain roman ?

AW : J’en corrige deux actuellement : d’une part un western fantastique, horrifique pour être plus précise, sur une conquête de l’Ouest peuplé de créatures monstrueuses, un roman que je veux assez onirique et assez graphique, avec des tons très rouges, et, d’autre part, un deuxième, celui dont j’ai parlé juste avant avec les 3 points de vue, c’est un roman plutôt écologique sur les feux de forêt.

GdN : On a très hâte de les lire !

AW : Merci !

GdN : Est-ce qu’il y a d’autres inspirations ou influences, au-delà de George Martin, qui vous viennent à l’esprit ?

AW : Avant de lire George Martin, je pense que j’ai été très marquée, enfant, par Philippe Ébly , je ne sais pas si cela va parler …

GdN : Alors sur notre forum il y a une relecture intégrale de tous les Philippe Ébly !

AW : (rires) Formidable, bravo à ces lecteurs. Je suis fan. On était enfant, on lisait Philippe Ébly qui emmenait les jeunes dans des aventures extraordinaires, c’était super. Après j’ai lu Stephen King. Je pense que c’est lui le plus déterminant dans ma vie. Je parlais de Martin qui est cinématographique, mais Stephen King l’est aussi, c’est-à-dire qu’il travaille par traveling, il fait attention aux éclairages, enfin c’est incroyable. Génial également sur la psychologie. Un autre auteur, et je pense que ceux qui me lisent, cela va leur parler, c’est Serge Brussolo, qui a un imaginaire très foisonnant. J’aimerais avoir autant d’idées que lui à la minute, je l’adore. De lui, je conseille Le Cycle des Ouragans.

GdN : Pour quelqu’un qui ne vous a pas encore lu, et qui est fan du Trône de fer, quel est le roman de votre bibliographie que vous conseilleriez le plus ?

AW : L’Épée, la famine et la peste, c’est de la fantasy médiévale et c’est assez dark, je pense qu’il y a des passerelles intéressantes.

GdN : Je vous avoue que j’aimerai le lire, mais je suis arachnophobe, vraiment sérieusement arachnophobe alors j’ai très très peur.

AW : Beaucoup de gens m’ont dit ça, mais au niveau des retours des lecteurs, a priori ça passe. Il faut l’envisager comme une créature magique. C’est une créature qui tisse sa toile dans la tête des hommes, qui tisse des rêves.

GdN : Le lien avec la nature, les animaux, revient souvent dans vos romans, c’est un thème récurrent.

AW : C’est un lien qui est salvateur, même. Là, l’araignée est un animal considéré comme un monstre, mais finalement d’autres dimensions de l’araignée vont émerger, au même titre que chez les humains. Les animaux vont avoir un lien d’aide et vont tirer les gens vers le haut.

GdN : C’est aussi l’image de la sorcière.

AW : Oui, il y a un parallèle entre mes « tarentas » et les sorcières.

GdN : On peut difficilement voir un message purement écologique chez Martin. Peut être plus des messages politiques, d’impuissance face à des alertes en tout genre. Est-ce que vous pensez que cela peut venir du fait qu’en tant qu’autrice française, on n’a pas forcément le même imaginaire, le même rapport à la nature qu’un Américain ?

AW : Le nature writing c’est un genre américain, et là il y a plein de textes extraordinaires. Mon ambition avec le roman de feu de forêt dont je parlais, c’est de faire du nature writing, avec des passages où on est en forêt, où on s’émerveille.

GdN : Je crois que l’on a fait le tour de nos principales questions. Merci beaucoup !

AW : Merci !
Propos recueillis par Nymphadora et Schrö-dinger

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