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Entretien avec… Jean-Christophe Blanchard

Entretien avec… Jean-Christophe Blanchard

Lors des Imaginales 2019, la Garde de Nuit a eu la chance de rencontrer des auteurs et autrices qui font l’actualité de la fantasy en France. Nous avons ainsi pu leur poser quelques questions concernant leur perception de l’œuvre de George R. R. Martin et son impact sur le monde de l’écriture fantasy. Dans les semaines qui viennent, nous vous proposerons donc une retranscription de leurs propos passionnants et leurs perspectives uniques sur les écrits du Trône de Fer et sur la série qui en est dérivée.

C’est Jean-Christophe Blanchard qui a cette fois bien voulu répondre à nos questions. À la différence des précédents articles de cette série, il ne s’agit pas d’un auteur de fantasy, mais d’un chercheur à l’université de Lorraine, docteur en histoire médiévale et spécialiste (notamment) de l’héraldique. Il a à ce titre animé la conférence Héraldique fantasy : les emblèmes des principales maisons de Game of Thrones. L’entretien qu’il nous a accordé a eu lieu dans la continuité de son intervention.

Résumé de la conférence de J.-C. Blanchard aux Imaginales

L’héraldique qu’utilise George R. R. Martin dans le Trône de Fer – bien détaillée dans les livres – n’est pas seulement un artifice destiné à donner à l’univers un vernis médiévalisant ou exotique, mais elle sert le propos de l’auteur. C’est à partir de ce constat, et parce que cette facette de l’œuvre possède de nombreuses particularités de l’héraldique européenne, que Jean-Christophe Blanchard a voulu rechercher les inspirations qu’aurait pu utiliser l’auteur. Il s’est pour cela concentré sur trois cas particuliers.

Le loup géant des Stark

Blason de la maison Stark

Blason de la maison Stark (crédits : Evrach, La Garde de Nuit)

Le loup est un symbole très présent dans les armoriaux du Moyen Âge, malgré la crainte qu’il représentait. C’est également le cas chez Martin, mais ce dernier en fait néanmoins l’animal totémique de la maison suzeraine du Nord. À tel point que la découverte d’une louve géante au sud du Mur (une première en 200 ans), tuée par un cerf (emblème des Baratheon) et entourée de ses petits, pourra être vue comme prophétique dans la suite du roman. Ce n’est donc pas uniquement un ornement mais bien un symbole qui a son importance.

Le dragon tricéphale des Targaryen

Blason Targaryen (Evrach, La Garde de Nuit, CC BY-SA 3.0)

Blason Targaryen (Evrach, La Garde de Nuit, CC BY-SA 3.0)

Ces armoiries sont visibles dans le roman notamment à travers la description de l’armure de Rhaegar Targaryen, « étincelante d’innombrables rubis ». On peut de plus noter que ces armoiries sont à enquerre, c’est à dire qu’elles ne respectent pas la règle de compositions interdisant la superposition de deux émaux [NDLR : les émaux sont quatre couleurs qui, selon les règles de l’héraldique, ne doivent pas se superposer. Dans le cas des Targaryen, le sable (couleur noire) et le gueules (couleur rouge) qui sont deux émaux se superposent. Pour plus de détail, nous vous renvoyons vers l’article du wiki]. On notera que ce cas est unique parmi les autres grandes familles régnantes, prouvant que Martin a voulu mettre en avant la maison Targaryen. Le dragon pourrait tirer son origine de la fantasy traditionnelle (Tolkien entre autre) ou des armoiries médiévales, car la figure du dragon est très présente en Angleterre, souvent sous forme de wyvernes. Le fait qu’il soit tricéphale rappelle plutôt l’hydre, également représentés sur les blasons.

L’écorché des Bolton

Malgré les recherches, il ne semble pas avoir d’équivalent historique à l’écorché présent sur le blason des Bolton. Il s’agirait donc d’une véritable innovation de Martin. On peut néanmoins trouver des racines dans l’iconographie médiévale des martyrs chrétiens, comme St Barthélémy. Si des armes aussi horribles sont donc quasiment inexistantes, il faut néanmoins noter que la croix du Christ, pourtant instrument de torture, est elle aussi souvent utilisée dans l’héraldique ancienne, tout comme la croix en sautoir (qui renvoie au martyr de St André).
La famille Bolton, et en particulier Ramsay, est totalement en adéquation avec ses armoiries. Ce dernier est d’ailleurs décrit comme « un animal revêtu d’une peau d’homme » (Davos IV, ADWD) ce qui le rattache encore un peu plus à l’écorché. On trouve également Ramsay portant un « pourpoint de velours rose avec des crevées de satin rouge sombre », un costume typique de la seconde moitié du XVIème, et avec à l’oreille un « grenat taillé en goutte de sang ». On pourrait voir là l’influence du portrait d’Henri III en France, et surtout celui de Barbe Bleue pour les anglais au XIXème.

Barbe Bleue, par Walter Crane (crédits : WikimediaCommons)

Conclusion

Martin ayant manifestement une forte culture héraldique, quelles sont ses inspirations en terme d’héraldique narrative ? La première idée serait de se tourner vers Les Rois maudis. Mais force est de constater que sur ce sujet, les romans de Maurice Druon sont assez pauvres, et parfois erronés. Étant de culture anglo-saxonne et un temps professeur, Martin a étudié l’œuvre de Shakespeare, dans laquelle on a cette fois une importance claire de l’héraldique pour donner du sens au propos ou moquer les personnages. Les légendes arthuriennes ont sans doute également marqué son travail, car les blasons sont là toujours signifiant pour ceux qui les portent, et ne changent d’ailleurs que peu avec les différentes versions écrites. Enfin, grand connaisseur de la culture française, on peut se demander si La Comédie humaine de Balzac ne fait pas également partie de ses inspirations tant l’héraldique y joue un rôle majeur, par exemple dans Splendeurs et misères d’une courtisane.
Bien sûr, tout cela n’est que suppositions.

Entretien avec Jean-Christophe Blanchard

Garde de Nuit : Bonjour et merci de nous accorder ce temps. Revenons tout d’abord sur la préparation de votre conférence. Comment vous êtes-vous renseigné sur les blasons dans l’univers du Trône de Fer ?

Jean-Christophe Blanchard : J’ai été amené à consulter l’encyclopédie de la Garde de Nuit. C’est à la fois facile et difficile de trouver des informations [sur les blasons en général] car il y a beaucoup de choses. Cela dit on tombe souvent sur vous, surtout quand on cherche en français. Je suis aussi tombé sur un site américain [NDLR : westeros.org] et sur un fandom [NDLR : wikia] … mais je n’ai pas très bien compris leur fonctionnement.

Ce qu’il faut dire aussi, c’est qu’à partir du moment où j’ai proposé la conférence, j’ai évité au maximum de regarder ce qui était déjà fait pour arriver à mon propre résultat en collant uniquement aux livres et à la série dans un premier temps. Bien sûr, je suis ensuite allé voir ce qui avait été fait. Le sujet est malgré tout très vaste et ce que j’ai présenté n’est pas du tout exhaustif.

GdN : C’est sûr, il faudrait des pages et des pages entières pour étudier la question.

JCB : Oui, il y aurait vraiment de quoi faire un livre sur ce qui est héraldiquement véridique et historique dans l’œuvre de Martin ou non, et le rôle de l’héraldique dans son monde. J’y réfléchis.

Je n’ai pas eu le temps durant la conférence, mais j’aurais pu parler du chevalier Oignon [NDLR : Davos Mervault], car c’est un exemple parfait de création d’emblème, qu’on retrouve dans le monde de l’héraldique. C’est ce qu’on appelle des “armoiries allusives” dans notre langage, c’est à dire des armoiries qui font références à un événement fondateur pour le créateur des armoiries.

Il y bien d’autres armoiries, mais j’imagine que vous les avez déjà relevées… [NDLR : Evrach a en effet conçu tous les blasons décrits dans les livres : ils sont sur le wiki].
Mais ce n’est pas évident, bien souvent, à partir du texte, on n’a pas tous les éléments pour dessiner. Et en fonction du support, le visuel change : par exemple dans la série, on n’a que la tête du loup géant des Stark sur le blason, alors que je n’ai pas l’impression que ce soit le cas dans le roman. (GdN : Effectivement, le loup est bien entier. Le blason personnel de Robb Stark en revanche est une tête de loup.)

GdN : Pour revenir un peu sur vous, sur votre parcours, qu’est-ce qui vous a amené à étudier ici George R.R. Martin ou peut-être plus généralement la fantasy, si vous êtes un habitué de ce sujet ?

JCB : J’ai lu les livres, mais assez tardivement, en commençant à regarder la série, que j’ai vu sur le tard. J’ai eu envie de lire les livres en VO mais je ne l’ai pas fait par manque de temps. J’ai trouvé la traduction française assez mauvaise, mais j’ai néanmoins perçu très vite, en tant qu’historien médiéviste/héraldiste, l’importance des emblèmes dans Game of Thrones et du système inventé. Il crée un univers total, y compris dans la symbolique. C’est vraiment l’auteur démiurge, et la comparaison avec Balzac [NDLR : qu’il évoquait dans sa conférence] me semble sur ce point assez bonne dans le sens où il crée son monde dans les moindres détails, tels que les emblèmes et armoiries.

Au fur et à mesure de ma lecture, je me disais “il faut que je note ces détails” mais je ne l’ai pas fait, jusqu’à ce qu’on me demande d’intervenir pour les Imaginales. Il était donc temps pour moi d’ouvrir ce dossier. J’ai relu les livres rapidement pour chercher ces détails. Et voilà donc comment j’en suis arrivé à travailler le sujet. Mais je ne suis pas un grand lecteur de fantasy. Je n’ai jamais réussi à finir Tolkien (*rire*).

J’ai vraiment voulu comprendre la genèse d’un système emblématique dans la tête d’un auteur, avec la dimension historique et littéraire. Car c’est une vraie œuvre, et on sent que Martin cherche vraiment à bien dire les choses, et pas seulement à raconter une histoire. L’héraldique entre en jeu dans ce processus.

GdN : l’héraldique contribue à la construction des personnages, c’est cela ?

JCB : Exactement. On a les psychologies familiales et personnelles qui sont racontées et développées par les emblèmes – comme pour Davos. Ça ancre les personnages dans la réalité que crée Martin, mais sert aussi l’intrigue. Ces emblèmes ne servent pas qu’à donner un style médiévalisant, ils participent en eux-mêmes à la construction de l’auteur. C’est ce point qui est vraiment important, et c’est pour cela que je comparais avec la littérature médiévale. En effet, à cette époque, les auteurs sont entourés d’emblèmes, ce système est familier pour eux. Idem pour Shakespeare, dont l’œuvre est une référence pour Martin, auteur anglo-saxon. Et enfin, la question de l’inspiration de Balzac se pose, car ce dernier utilise aussi l’héraldique pour servir son propos.

GdN : D’où viennent ces emblèmes ?

JCB : Ce système naît dans les milieux aristocratiques, de haute noblesse au milieu du XIIe, mais pas princiers, pas les maisons régnantes. Cela arrivera dans un second temps, vers la fin du XIIème. Le XIIIème voit la diffusion de l’héraldique dans toutes les couches de la noblesse, même les plus basses, chez les femmes et les ecclésiastiques également. Puis on en retrouve au-delà de l’aristocratie, chez des paysans, des artisans. Les supports de ces emblèmes ne sont évidemment pas les mêmes pour les uns et les autres : un artisan ne va pas utiliser d’étendard.
On retrouve je pense ceci au moins à une occasion chez Martin, avec le personnage de Tobho Mott. Ce dernier, richement vêtu, a sur ses vêtements des petits marteaux, emblèmes de sa profession. (GdN : on a aussi ce cas pour les emblèmes des auberges, avec un lourd sous-texte). Cela révèle à mon sens une grande connaissance du fonctionnement de l’héraldique dans l’ancien régime. Bien sûr la noblesse s’accapare ces symboles, mais elle n’en a pas l’exclusivité.

GdN : Vous trouvez que George R.R. Martin est plus connaisseur d’une héraldique française ou anglaise ? Ou pioche-t-il un peu dans les deux ?

JCB : Je suis parti du principe [pour ma conférence] qu’un auteur américain aurait une meilleure connaissance de l’héraldique anglo-saxonne, mais je pense m’être trompé. Sa connaissance est bonne “dans les deux mondes”. Il se revendique de Druon, et prouve sa bonne connaissance de l’histoire européenne et française. Et quoi qu’il en soit, la Guerre de Cent Ans oppose les royaumes de France et d’Angleterre et ce n’est donc qu’une seule et même histoire.

GdN : On remarque que les meubles des blasons sont assez simples, avec peu de partitions, en tout cas dans les maisons principales.

Blason de la maison Torth

Blason de la maison Torth (crédits : Evrach, La Garde de Nuit)

JCB : Oui, ces blasons sont relativement simples, avec peu de combinaisons. On peut néanmoins citer Joffrey qui partit [NDLR : divise] les armoiries de son père et de sa mère. Pourtant dans ces familles, il est de tradition pour les femmes de prendre les armoiries du mari, comme c’est suggéré par le manteau armorié qui recouvre la mariée. Le fait que Joffrey apparaisse au début avec les deux armoiries montre l’orgueil des Lannister.

Les armoiries de Brienne de Torth sont, elles, écartées, mais ne correspondent pas à une alliance, ce qui est généralement le cas pour les armoiries parties ou écartelées dans l’héraldique traditionnelle. Il faut en fait que l’impact visuel ne soit pas trop compliqué. Dans l’œuvre de Martin, l’image est simple mais le propos qui va avec est, lui, complexe. Le lecteur reconnaît facilement les grandes familles. Les armoiries complexes sont réservées aux familles plus petites, comme celle de Davos.

GdN : Quels types d’armoiries les familles régnantes adoptaient-elles, dans notre monde ?

JCB : Les rois de France utilisent la fleur de lys, motif assez simple. Les couleurs bleu et jaune sont celles de la Vierge. Le lys, un emblème de la Vierge également. Elles sont adoptées à un moment où la monarchie française traverse une crise, et il faut redorer le blason (*rire*); elle choisit donc des armoiries importantes.
Mais en règle générale, on ne sait pas qui a choisi telle ou telle armoiries, ni pour quelle raison. Par exemple, l’origine du lion des rois d’Angleterre n’est pas précisément connue. On a souvent des armoiries dites parlantes, c’est à dire qui sont liées au nom de la famille. Mais on ne sait pas si c’est le nom qui a donné l’emblème ou l’inverse !
On en connait plus pour des anoblis qui choisissent plus tardivement leur emblème. Par exemple, un fourreur lorrain anobli au XVème siècle a une civette sur son blason pour évoquer son origine.

GdN : On a ce cas dans le Trône de Fer avec les Clegane, anoblis par Tytos Lannister pour l’avoir sauvé avec trois chiens.

Blason de la maison Clegane

Blason de la maison Clegane (crédits : Evrach, La Garde de Nuit)

JCB : On est typiquement dans les armoiries allusives, qui rappellent un exploit, comme pour Davos. Mais eux sont assimilés à la noblesse (GdN : ils sont chevaliers fieffés) car la création de la maison remonte à plusieurs générations, ce qui n’est pas le cas pour Davos. Il dit lui-même que ça ne viendra qu’avec ses petits-fils qui se marieront peut être avec d’autres familles nobles, telles les Celtigar ou les Velaryon.
On n’a pas ici affaire à une légende héraldique, les blasons viennent de faits reconnus. En revanche pour d’autres maisons, on a souvent des contes qui remontent à des temps immémoriaux, avec des animaux qui font parfois un peu primitifs, qui sont des sortes de totems, tel le dragon disparu… (GdN : même si le dragon est assez récent à Westeros. Il y apparaît un peu avant la Conquête).

Sur les légendes héraldiques, on les voit apparaître à la fin du Moyen Age, vers la fin du XIVème et le début du XVème siècle. On ne connaît pas les origines des armoiries, alors on les construit a posteriori. Par exemple la maison d’Anglure, dont un des membres s’appelait Saladin, parce qu’il aurait fait la croisade et aurait adopté les armoiries de la maison à ce moment. Beaucoup de familles vont faire de même pour justifier leur ancienneté ou s’inventer une généalogie un peu fabuleuse.

GdN : Y a-t-il des cas de changements de blason ? Non pas des blasons personnels mais vraiment des changements, comme le cas de Littlefinger qui choisit un nouveau blason pour sa maison ?

JCB : Oui ça arrive dans l’histoire, mais généralement, c’est avec le cadet d’une grande maison qui se marie à une femme, dernière héritière de la sienne. Et l’homme reprend les armoiries et le titre.
C’est aussi le cas d’un neveu qui reprend les armoiries d’un oncle maternel mort sans héritier direct. On dit alors qu’il “relève le nom et les armes”.

GdN : On a un cas similaire dans la saga avec la maison Darry qui n’existe plus que par les femmes. L’une d’elle se marie avec Lancel Lannister et les blasons des deux familles sont écartelés.

Blason de Lancel Lannister

Blason de Lancel Lannister (crédits : Evrach, La Garde de Nuit)

JCB : On essaye par-là de garder le souvenir de la famille qui va s’éteindre. Cela fait partie des éléments dans le roman qui me font penser que Martin a de solides connaissances de l’héraldique et de ses pratiques dans le monde médiéval et moderne occidental.

GdN : Il y a également le cas des bâtards qui, lorsqu’ils sont reconnus ou légitimés, reprennent un blason, soit en inversant les couleurs, soit en barrant celui de leur famille.

JCB : Ce sont exactement des pratiques de l’héraldique occidentale. Les bâtards portent en général une “brisure de bâtardise” qui distingue leurs armoiries de celles de leur famille. Il s’agit souvent d’une barre, mais ça peut être une autre forme de brisure. On a aussi le cas des bâtards légitimés dans la saga qui reprennent le nom (comme Ramsay Bolton) mais aussi les armoiries « pleines ».

GdN : Il y a le cas particulier des Feunoyr qui, alors qu’ils sont légitimés, ne reprennent pas le nom Targaryen ou leur blason, car ils ont construit leur mythologie familiale avant d’être légitimés.

JCB : Vous vous voyez changer de nom de famille? C’est compliqué. Le blason est une identité visuelle difficile à changer et reconstruire. C’est la même chose pour une entreprise qui veut changer de nom. À partir du moment où il y a une identité forte d’un point de vue emblématique, pourquoi en changer?

GdN : Le bestiaire utilisé par Martin est très diversifié. Il y a certes des “classiques” lions, loup… Mais on trouve aussi d’autres meubles : une fourche, un laboureur, même pour des familles importantes.

JCB : On peut aussi citer le chasseur des Tarly ou la rose des Tyrell. D’ailleurs, celle de la série est exactement celle de la guerre des Deux Roses. C’est la rose héraldique.
Pour revenir à la charrue, on a aussi Davos et son oignon dont je comptais parler [durant la conférence] qui est à la base un surnom dégradant. Je suis donc allé regarder, et si je n’ai pas trouvé d’oignon (mais je n’ai pas tout regardé non plus), en revanche j’ai trouvé des navets, des choux, de l’ail… donc il y a aussi des légumes.
Les personnages sont plus rares. Les objets sont eux totalement présents, et Martin n’invente rien. Dans l’héraldique occidentale, on peut tout mettre sur un écu. C’est très ouvert.

GdN : Et inversement, y a-t-il des choses qu’on ne met pas ?

JCB : Il y a le cas des Bolton. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi horrible [NDLR : l’écorché sur une croix], si ce n’est justement pour emblématiser le Christ [NDLR : la croix, très présente sur de nombreux blasons médiévaux, qui tire son origine de la croix du Christ]. Donc il y bien des choses qu’on va s’interdire, on craint quand même le ridicule. Mais en dehors de ça, tout est possible.
Dans mon travail sur la Lorraine, j’ai trouvé un anobli du XVème qui porte des rats. Et pourtant les rats au XVème n’ont pas très bonne réputation… Mais il y a un jeu de mot sur son nom de famille, il s’appelait “Durat” donc il met deux rats sur ses armoiries. Donc encore une fois tout est possible, d’où les crabes et autres. Y compris dans l’univers de Martin, l’écorché des Bolton, mais cela va au-delà de la réalité historique.
Au Moyen Âge, les familles qui s’emblématisent avec des légumes sont authentiquement nobles, qui jouent sur le nom de leur famille. Et ça ne veut pas dire qu’on n’est pas noble. Le laboureur, c’est celui qui cultive leurs champs, et ce n’est pas dégradant de montrer qu’on a des terres qu’on les fait exploiter par d’autres.

GdN : Et au contraire, avoir des armoiries ne rend pas la personne noble.

JCB : Non, c’est le cas si on accepte que les marteaux du forgeron [NDLR : Tobhot Mott] sont des emblèmes. Ça ne fait pas de lui quelqu’un de noble, bien qu’il en ait tous les atouts.

GdN : Il ne vient pas de Westeros, mais de Qohor, où les blasons n’existent pas. Il adopte en revanche tous les codes. C’était très intéressant, on pourrait parler des heures du sujet.

JCB : On pourrait parler de Samwell avec les armoiries des Tarly. La façon dont il est traité à son arrivée au Mur. Il est moqué car il ne correspond pas du tout à l’idéal du chevalier même s’il en a tous les attributs, comme le prouve, entre autres, son équipement.
Il reste beaucoup à dire en effet.

GdN : Merci pour cette interview !

Propos recueillis par Ezor, Babar des Bois et Eridan

Une conférence pour le 15 octobre 2019

Jean-Christophe Blanchard proposera, le 15 octobre prochain, à l’université de Nancy, une conférence-rencontre autour de l’héraldique dans Game of Thrones. Pour en savoir plus : présentation de la rencontre.

Affiche pour la rencontre avec Jean-Christophe Blanchard à Nancy

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Compte collectif de La Garde de Nuit.

4 Comments

  1. Vous n’avez pas parlé de Bronn qui s’élève et qui crée son blason avec la chaine de la bataille de la Néra. Il pourrait choisir d’arborer les armoiries Castelfoyer s’il souhaite un peu plus légitimer son droit sur ces terres (semblable à la situation Darry mis-à-part que les Lannister sont une famille puissante).

    • Tout à fait, mais le temps était compté, et lui même a dû bien couper dans sa conférence qui ne devait durer que 20mn ^^

  2. J’ai appris plein de choses, merci pour l’interview !

  3. Très intéressant.
    On m’ en aurais parlé, j’aurais soutenu mordicus que les blasons furent construits dans le style de la noblesse du 1er empire.

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