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Approfondissements / La saga principale

Jon Snow et le symbolisme de la royauté

Jon Snow dans la Garde de Nuit (illustration : Magali Villeneuve ; montage : Evrach, La Garde de Nuit)

Intéressons-nous aujourd’hui à Jon Snow, un des personnages majeurs de la saga de George R.R. Martin, qui cristallise autour de lui aussi bien des intrigues politiques que symboliques.

« Les dieux et les merveilles se manifestent toujours, pour assister à la naissance des rois. »

(Tyrion Lannister, ADWD)

La théorie faisant de Jon Snow le fils de Rhaegar Targaryen et Lyanna Stark est connue d’à peu près tout le monde, et les éléments factuels permettant d’aboutir à cette construction théorique sont développés cet article : « De la Parenté de Jon Snow ».
L’analyse qui suit a pour but de compléter le travail de théorisation en apportant un éclairage nouveau, non pas sur les faits, mais sur les indices et allusions littéraires semées par George R.R. Martin concernant la nature royale de Jon. Les allusions cachées faisant le rapprochement entre Jon et la notion de royauté sont en effet très nombreuses et méritent d’être listées et analysées en détail.

Théorie rédigée par Evrach, en décembre 2014.
Illustration de tête : Magali Villeneuve ; montage : Evrach, la Garde de Nuit.

Dans AGOT

Et cela commence très tôt puisque dès la première rencontre entre Robert et Ned, le ton est donné.

Robert snorted. “Bogs and forests and fields, and scarcely a decent inn north of the Neck. I’ve never seen such a vast emptiness. Where are all your people?”
“Likely they were too shy to come out,” Ned jested. He could feel the chill coming up the stairs, a cold breath from deep within the earth. “Kings are a rare sight in the north.”
Robert snorted. “More likely they were hiding under the snow. Snow, Ned!” The king put one hand on the wall to steady himself as they descended.

« — Des marais, répondit Robert en reniflant, des forêts, des champs, pour ainsi dire pas d’auberge passable au nord du Neck. Jamais je n’ai vu désert plus immense. Où se cache donc ton peuple ? — Trop intimidé sans doute pour se montrer, plaisanta Ned, on ne voit guère de rois, dans le nord. » Des entrailles de la terre montait vers eux un souffle glacé. Le roi renifla, puis : « M’est avis plutôt qu’il s’était tapi sous la neige… Et quelle neige, bons dieux ! » Pour assurer son équilibre, il s’appuyait, marche après marche, au mur. »

(AGOT, Eddard I)

Mettons la VF par commodité, mais intéressons-nous particulièrement à la VO. La phrase pourrait être anodine, Robert demande où sont les gens dans le Nord, Eddard répond qu’ils sont timides car les rois sont rares dans le nord et Robert rétorque qu’ils doivent plutôt se cacher sous la neige… les gens donc.
Enfin c’est une façon de comprendre la phrase s’il n’y avait la répétition par Robert du mot snow après le point, y mettant une majuscule forte de double-sens. Si le pronom they ne se rapporte pas aux gens (singulier en anglais, même si le mot people employé par Robert représente plusieurs personnes, sa reprise par le pronom they est grammaticalement ambiguë) mais aux rois (dernier substantif pluriel employé et donc cible légitime de la reprise grammaticale), la phrase prend un tout autre sens.
Où sont les rois dans le Nord, ils se cachent sous la « neige ». Snow. Avec sa majuscule. Edifiant.

Enchaînons tout de suite avec une autre discussion entre Ned et Robert au sujet de la légitimité de Robert.

“Damn you, Ned Stark. You and Jon Arryn, I loved you both. What have you done to me? You were the one should have been king, you or Jon.”
“You had the better claim, Your Grace.”

« Robert se rassit. « Maudit sois-tu, Ned Stark. Toi et Jon Arryn, je vous aimais. Et vous m’avez tous deux joué un vilain tour. C’est lui ou toi qui auriez dû écoper du trône. — Votre Majesté y avait de meilleurs titres. »

(AGOT, Eddard VI)

Cette phrase a toujours un peu détonné dans le récit. En effet, a priori, les Stark et les Arryn n’ont aucun claim sur le trône, contrairement à Robert, et ni Ned ni Jon Arryn n’auraient pu appuyer leur légitimité sur quoi que ce soit, contrairement à Robert (à propos de la légitimité des Baratheon, voir cet article en particulier : « Qui est aujourd’hui le candidat le plus légitime au Trône de Fer ? », partie 1 « Avant propos : de la légitimité des Baratheon ? »). Mais peut-être cette phrase n’est-elle pas là pour être lue dans ce sens-là. Et là, je vois que la majorité d’entre vous a déjà vu où je voulais en venir. Jon were the one should have been king. Mais peut-être pas le Jon du sens littéral de la phrase. Sacré GRRM. Et vous noterez au passage que la traduction française est beaucoup moins ambiguë que le texte original, preuve supplémentaire de la nécessité d’étudier la VO pour tout ce qui touche au symbolisme.

Poursuivons un peu le récit.

Benjen Stark gave Jon a long look. “Don’t you usually eat at table with your brothers?”
“Most times,” Jon answered in a flat voice. “But tonight Lady Stark thought it might give insult to the royal family to seat a bastard among them.”

« Son regard s’appesantit sur lui. « Tu ne manges pas, d’habitude, à la table de tes frères ? — Si, répondit Jon d’un ton neutre. Mais, ce soir, lady Stark a craint d’offenser la famille royale en mêlant un bâtard aux princes. »

(AGOT, Jon I)

suivi de

“Why aren’t you down in the yard?” Arya asked [Jon].
He gave her a half smile. “Bastards are not allowed to damage young princes,” he said.

« Pourquoi ne te trouves-tu pas avec les autres, en bas ? demanda-t-elle. — Il n’est pas permis aux bâtards d’avarier la chair de roi, sourit-il, finaud.

(AGOT, Arya I)

Ces deux remarques de Jon ont bien entendu une explication toute littérale quand on se réfère à leur contexte direct, en tant que bâtard reconnu de lord Eddard, Jon n’a ni à être à la table royale, ni à faire de duel avec les princes légitimes. Cependant, un double-sens troublant éclaire ces phrases quand on découvre que les bâtards sont en réalité Joffrey, Myrcella et Tommen. Il serait en effet insultant que les bâtards (Joffrey, Tommen, Myrcella) siègent à la table du roi (Jon) et la phrase Bastards (Jon) are not allowed to damage young princes (Joffrey) devient subitement Bastards (Joffrey) are not allowed to damage young princes (Jon). Renversant. Au sens propre comme au sens figuré.

Mais il y a encore plus troublant. Lors de la rencontre entre Jon et Tyrion par exemple :

“I know,” Jon said. He rose. Standing, he was taller than the dwarf. It made him feel strange.
“You’re Ned Stark’s bastard, aren’t you?”
[…]
When he opened the door, the light from within threw his shadow clear across the yard, and for just a moment Tyrion Lannister stood tall as a king.

— Je sais », dit Jon en se relevant. Une fois debout, il dépassait le nain, et ce constat lui fit un effet bizarre. « Quant à toi, tu es le bâtard de Ned, n’est-ce pas ? »
[…]
Mais, au moment où il poussa la porte, la lumière en provenance de l’intérieur déginganda sa silhouette en travers de la cour et, quelques secondes, lui décerna une prestance véritablement royale.

(AGOT, Jon I)

Jon est donc plus grand que Tyrion, mais lorsque Tyrion quitte le balcon après avoir eu cette passionnante discussion sur les bâtards, les nains et les mères avec Jon, la lumière le fait paraître aussi grand qu’un roi. Le mot semble étrangement choisi dans le contexte. Les jeux d’ombre et de lumière auraient pu le fait paraître aussi grand qu’un homme normal, ou qu’un géant … mais un roi ? Ce n’est pas un qualificatif de taille et certains l’ont interprété comme un indice sur le potentiel de Tyrion … voire sur une éventuelle ascendance targaryenne.
Mais si on s’accorde simplement à dire que, dans cette lumière, il paraît simplement aussi grand que … Jon, qui servait justement de référence en terme de taille quelques paragraphes plus haut, alors tout prend un autre sens.

“The next time I see you, you’ll be all in black.”
Jon forced himself to smile back. “It was always my color”.

« Quand nous nous reverrons, tu seras tout en noir. » Jon se contraignit à lui retourner son sourire. « Ç’a toujours été ma couleur»

(AGOT, Jon II)

Les derniers mots entre Robb et Jon (encore une occasion pas anodine donc). « Le noir a toujours été ma couleur ». Et pour cause, c’est la couleur des Targaryen légitimes. Même chose plus tard au Mur lorsqu’il raconte son rêve à Samwell :

“Do you ever find anyone in your dream?” Sam asked.
Jon shook his head. “No one. The castle is always empty.” He had never told anyone of the dream, and he did not understand why he was telling Sam now, yet somehow it felt good to talk of it. “Even the ravens are gone from the rookery, and the stables are full of bones. That always scares me. I start to run then, throwing open doors, climbing the tower three steps at a time, screaming for someone, for anyone. And then I find myself in front of the door to the crypts. It’s black inside, and I can see the steps spiraling down. Somehow I know I have to go down there, but I don’t want to. I’m afraid of what might be waiting for me. The old Kings of Winter are down there, sitting on their thrones with stone wolves at their feet and iron swords across their laps, but it’s not them I’m afraid of. I scream that I’m not a Stark, that this isn’t my place, but it’s no good, I have to go anyway, so I start down, feeling the walls as I descend, with no torch to light the way. It gets darker and darker, until I want to scream.” He stopped, frowning, embarrassed. “That’s when I always wake.”

« Et, dans ton rêve, tu finis par croiser quelqu’un ? » questionna Sam. Jon fit un geste de dénégation. « Jamais personne. Le château est toujours désert. » Il en parlait pour la première fois et s’étonnait de rompre son silence en faveur de Sam, mais il en éprouvait une sorte de soulagement. « Les corneilles ont elles-mêmes abandonné la roukerie, et les écuries sont peuplées d’ossements. Ces détails me bouleversent chaque fois, et je me mets à courir comme un fou, à faire battre les portes, à grimper quatre à quatre l’escalier des tours, je réclame à grands cris quelqu’un, peu importe qui. Puis je finis par me retrouver devant l’entrée des cryptes : une bouche d’ombre où je discerne des marches en spirale. Je pressens confusément que je dois descendre, mais je m’y refuse. J’ai peur de ce qui risque de m’y attendre. Les vieux rois de l’Hiver sont là, assis sur leurs trônes, l’épée de fer en travers du giron, les loups de pierre à leurs pieds, mais ce n’est pas d’eux que j’ai peur. Et j’ai beau crier : « Je ne suis pas un Stark ! ce n’est pas ma place ! » rien à faire, il me faut y aller quand même. Aussi, je commence à descendre, à tâtons, les mains contre les murs, sans torche pour m’éclairer la voie. Et, comme les ténèbres ne cessent de s’épaissir, mon angoisse… » Il s’arrêta, gêné. « Je m’éveille toujours à ce moment-là. »

(AGOT, Jon IV)

Je ne m’attarderai pas dessus tant elle peut être interprétée de façons diverses, mais visiblement les Rois de l’Hiver Stark ne le reconnaissent pas comme l’un d’eux … logique s’il est bien un Targaryen légitime.

Plus loin dans le récit, arrivé au Donjon Rouge, Arya prend ses cours avec Syrio Forel et poursuit le vieux chat noir et avec une seule oreille, le Balerion de la petite Rhaenys :

One by one Arya had chased them down and snatched them up and brought them proudly to Syrio Forel… all but this one, this one-eared black devil of a tomcat. “That’s the real king of this castle right there,” one of the gold cloaks had told her. “Older than sin and twice as mean. One time, the king was feasting the queen’s father, and that black bastard hopped up on the table and snatched a roast quail right out of Lord Tywin’s fingers. Robert laughed so hard he like to burst.

Un par un, elle les avait tous traqués, happés, rapportés, toute fière, à Syrio Forel, tous…, hormis celui-ci, ce diable noir de matou borgne. « C’est lui le vrai souverain de ces lieux, avait dit l’un des manteaux d’or. Plus vieux que le péché, et deux fois plus vicieux. Même qu’une fois où le roi festoyait le père de sa reine, il a sauté sur la table, ce bâtard noir, et hop ! envolée, la caille que tenait Tywin ! Que Robert en a ri à se péter la sous-ventrière. Tiens-toi loin de çui-là, petite… »

(AGOT, Arya III)

Petit allusion rigolote, le « véritable roi du Donjon Rouge » est qualifié de « Black Bastard« , qualificatif employé plusieurs fois pour désigner Jon (à nouveau, on se référera ici au texte en anglais, et non en français, qui gomme le terme ambigu). Mieux, ce véritable roi n’est pas nommé, c’est juste un vieux chat noir avec une oreille amochée et jamais son nom ni son identité ne sont spécifiés. Ce n’est que par recoupement que le lecteur peut se rendre compte que ce chat est en fait Balerion, un … dragon. Et le parallèle avec un Jon, dragon caché, devient plus qu’un clin d’œil.

Dans ACOK

« King, » croaked the raven. The bird flapped across the air to land on Mormont’s shoulder. « King, » it said again, strutting back and forth.
« He likes that word, » Jon said, smiling.
« An easy word to say. An easy word to like. »
« King, » the bird said again.
« I think he means for you to have a crown, my lord. »
« The realm has three kings already, and that’s two too many for my liking. » Mormont stroked the raven under the beak with his finger, but all the while his eyes never left Jon Snow.

« Roi ! » croassa le corbeau qui, d’un coup d’aile, vint à travers la loggia se percher sur l’épaule de Mormont. « Roi ! » répéta-t-il en se pavanant d’arrière en avant. « Il aime ce mot, sourit Jon.
– Facile à dire. Facile à aimer. » « Roi ! » dit à nouveau l’oiseau. « Je pense qu’il vous verrait volontiers couronné, messire.
– Le royaume a déjà trois rois, ce qui fait deux de trop pour mon goût. » D’un doigt, il caressa le corbeau sous le bec, mais sans lâcher Jon des yeux.

(ACOK, Jon I)

Que le corbeau soit un animal très intelligent ou manipulé par ser Brynden Rivers (Freuxsanglant), il vient bien de répéter trois fois le mot King, et si, à première vue, le « ses yeux ne quittèrent pas Jon Snow » se réfère aux yeux de Mormont, la phrase est également conçue pour pouvoir être lue dans l’autre sens et imaginer que c’est le corbeau qui ne quitte pas Jon des yeux pendant qu’il répète trois fois (nombre bien entendu pas choisi au hasard, en référence à la symbolique du chiffre trois dans la saga (en particulier quand ça se rapporte à Jon, Tyrion et Daenerys) est omniprésente et nécessiterait son propre article).

Passons à une petite réflexion de Catelyn. Sur Robb, bien entendu mais …

Kings are not supposed to have mothers, it would seem, and I tell him things he does not want to hear.

Les rois sont censés n’avoir pas de mère, apparemment, et je l’assomme d’avis qu’il n’a aucune envie d’entendre.

(ACOK, Catelyn I)

Si les rois sont supposés ne pas avoir de mère, alors Robb est un très mauvais candidat ^^. Jon, en revanche, est le seul personnage principal à ignorer qui est sa mère.

Robb est roi donc, et quand Jeor Mormont en parle à Jon :

Men will call you a crow. Him they’ll call Your Grace. Singers will praise every little thing he does, while your greatest deeds all go unsung. Tell me that none of this troubles you, Jon… and I’ll name you a liar, and know I have the truth of it.”
Jon drew himself up, taut as a bowstring. “And if it did trouble me, what might I do, bastard as I am?”
“What will you do?” Mormont asked. “Bastard as you are?”
“Be troubled,” said Jon, “and keep my vows.”

On va parer ton frère de soieries, satins, velours de cent coloris différents, tandis que tu vivras et mourras, toi, vêtu de maille noire. Il va épouser quelque belle princesse et engendrer des fils. Tu n’auras pas d’épouse et ne tiendras jamais dans tes bras d’enfant de ton propre sang, toi. Il va gouverner, toi servir. Les gens t’appelleront « freux », lui « Votre Majesté ». Les chanteurs monteront en épingle le moindre de ses actes, tes exploits les plus valeureux demeureront inchantés. Dis-moi que rien de cela ne te trouble, Jon…, et, en pleine connaissance de cause, je t’accuserai de mentir. » Jon se redressa de toute sa hauteur, aussi roidi qu’une corde d’arc. « Et si j’en étais effectivement troublé, que me servirait, bâtard que je suis ? — Que te servira, rectifia Mormont, bâtard que tu es ? — A être troublé, riposta-t-il, et à respecter mes vœux. »

(ACOK, Jon I)

La formulation est ici très étrange (et le passage n’est pas anodin, c’est une conclusion de chapitre après un dialogue lourd de sens). Pourquoi séparer la réponse-question de Mormont en deux, et surtout pourquoi y coller un deuxième point d’interrogation ?
« – Que ferai-je, bâtard que je suis ? » demande Jon.
« – Que feras-tu, bâtard que tu es ? rétorqua Mormont ». Là, ok.

Si on coupe en deux, grammaticalement :
– Que ferai-je ? demande Jon, bâtard que je suis.
– Que feras-tu ? rétorqua Mormont, bâtard que tu es.
En effet la ponctuation interrogative n’a pas à être répétée dans la deuxième proposition puisque la bâtardise de Jon n’est pas à mettre en question, la question porte sur ce qu’il fera … sauf si …
Et bien, sauf si implicitement GRRM nous invite justement à mettre en question cette bâtardise.

Quant aux autres rois, voici ce qu’ils se disent quand ils se rencontrent :

« Kings have no friends, » Stannis said bluntly, « only subjects and enemies. »
« And brothers, » a cheerful voice called out behind her.

– Les rois n’ont pas d’amis, rétorqua sèchement Stannis, seulement des sujets et des ennemis.
– Et des frères », lança gaiement une voix derrière elle.
(ACOK, Catelyn III)

Le Brothers pouvant également désigner les frères jurés de la Garde de Nuit, Jon en a en effet un sacré paquet, et l’allusion, ainsi que son contexte, ne manquent pas de piquant.

Dans ASOS

Dans la série des confusions r’hlloresques où Mélisandre voit Jon au lieu de Stannis quand elle cherche Azor Ahaï dans ses feux, on a cette magnifique et édifiante remarque de Stannis.

I was trying to win the throne to save the kingdom, when I should have been trying to save the kingdom to win the throne.” Stannis pointed north. “There is where I’ll find the foe that I was born to fight.”

« Je m’efforçais de conquérir le trône afin de sauver le royaume, alors que j’aurais dû m’efforcer de sauver le royaume afin de conquérir le trône. » Du doigt, Stannis indiqua le septentrion. « Voilà où je trouverai l’ennemi que je suis né pour affronter. »
(ASOS, Jon XI)

Pour gagner le trône, il faut protéger le royaume, et, a fortiori, de l’ennemi venu du nord. C’est bien ce que fait Jon depuis le début.

“Good Queen Alysanne, they called her later. One of the castles on the Wall was named for her as well. Queensgate. Before her visit they called it Snowgate.”
“If she was so good, she should have torn that Wall down.”

« La bonne reine Alysanne, ainsi la qualifia-t-on par la suite. L’un des châteaux du Mur perpétue également son souvenir. Celui de Porte Reine. Qui s’appelait, avant sa visite, Porte Névé. »
(ASOS, Jon V)

Petite digression transgenre : un château du Mur a changé de nom. Un seul. Snowgate (Porte-Névé en VF) pour devenir Queensgate (Porte-Reine). Le passage de l’état de snow à l’état royal n’est peut-être pas aussi transparent que si ça avait été Kingsgate, mais la coïncidence est tout de même troublante. Pour le moins.

Puisque nous parlons de neige : lorsque Jaime rêve du prince Rhaegar, ce dernier porte une armure de neige :

He saw them too. They were armored all in snow, it seemed to him, and ribbons of mist swirled back from their shoulders. The visors of their helms were closed, but Jaime Lannister did not need to look upon their faces to know them.

Il les vit aussi. Ils étaient tout armés de neige, lui sembla-t-il, et à leurs épaules ondoyaient des rubans de brume. La visière abaissée des heaumes occultait leurs traits, mais il n’avait que faire de ceux-ci pour les reconnaître.

(ASOS, Jaime VI)

Rhaegar est mort, mais son héritier est bien armored all in snow, ou plutôt son snow lui sert d’armure (de protection) et sa visière doit rester fermée (pour conserver son identité cachée).

“Snow.”
Sam glanced up at the sound. Lord Commander Mormont’s raven was circling the fire, beating the air with wide black wings.
“Snow,” the bird cawed. “Snow, snow”

L’appel lui fit lever les yeux. Le corbeau du lord Commandant traçait des cercles autour du feu, battant mollement l’air de ses larges ailes noires. « Snow, croassa-t-il, snow, snow. »
(ASOS, Samwell II)

Le retour du corbeau de Mormont (dont chaque apparition devrait être analysée avec soin). Cette fois-ci, il répète trois fois le mot Snow en étant décrit avec du feu et de larges ailes noires comme … un dragon, oui.

Et pour conclure ASOS en beauté, une que j’aime bien, même si elle ne fait pas référence directement à la royauté mais à une description brillante et lourde de sens qui a lieu à un moment très important, juste avant que Robb et Catelyn aient leur discussion quant à l’éventuel héritier de Robb (après l’annonce des morts de Rickon et Bran) et où Robb choisit, probablement, de légitimer Jon et d’en faire son royal héritier (voir pour plus de détails : La couronne du Nord : qui succédera à Robb Stark ?, et plus précisément : « Jon Stark, roi du Nord »). La scène se déroule à Vieilles-Pierres, lieu mythique bien connu, et concerne la description du plus grand roi du Conflans, Tristifer d’Alluve, la Masse de Justice, dont l’histoire nous est aussi narrée dans TWOIAF :

The lid of the sepulcher had been carved into a likeness of the man whose bones lay beneath, but the rain and the wind had done their work. The king had worn a beard, they could see, but otherwise his face was smooth and featureless, with only vague suggestions of a mouth, a nose, eyes, and the crown about the temples. His hands folded over the shaft of a stone warhammer that lay upon his chest. Once the warhammer would have been carved with runes that told its name and history, but all that the centuries had worn away. The stone itself was cracked and crumbling at the comers, discolored here and there by spreading white splotches of lichen, while wild roses crept up over the king’s feet almost to his chest.

Si le couvercle en était initialement orné de l’effigie du défunt dont la dépouille reposait dessous, la pluie et le vent avaient depuis lors accompli leur oeuvre. Hormis la barbe, toujours visible, le visage du roi n’était plus guère qu’une masse lisse dépourvue de traits ; tout au plus y devinait-on le vague souvenir d’une bouche, d’un nez, d’yeux et, vers les tempes, d’une couronne. Les mains se reployaient sur le manche d’une masse de guerre appliquée contre la poitrine. Des runes forcément gravées autrefois sur le fer de pierre pour indiquer le nom de son détenteur et pour célébrer sa mémoire, les siècles n’avaient rien laissé subsister. La dalle elle-même était fissurée, ses coins s’effritaient, des plaques de lichen blanchâtre la décoloraient en la grignotant, et un églantier, déjà maître des pieds du roi, l’assaillait presque jusqu’au torse.

(ASOS, Catelyn V)

Juste avant, donc, que Robb ne désigne son héritier, on a cette magnifique description d’un roi avec un marteau de guerre dans la poitrine (cf. la mort de Rhaegar) et des roses sauvages qui lui poussent jusqu’au coeur (la rose ne cesse de représenter Lyanna dans la saga). L’image de Rhaegar et Lyanna sur le lieu d’une discussion quant à la légitimité de Jon a de quoi laisser songeur, je trouve.

Dans AFFC

Jon apparait peu dans AFFC, mais les chapitres de Samwell contiennent tout de même quelques perles.

Pyp should learn to hold his tongue. I have heard the same from others. King’s blood, to wake a dragon. Where Melisandre thinks to find a sleeping dragon, no one is quite sure. It’s nonsense. Mance’s blood is no more royal than mine own. He has never worn a crown nor sat a throne.

« – Pyp devrait apprendre à tenir sa langue. J’en ai entendu d’autres tenir les mêmes propos. Sang de roi permet de réveiller dragon. Mais pour ce qui est de l’endroit où Mélisandre compte trouver un dragon endormi, là, fini, les affirmations péremptoires. Des couillonnades. Le sang de Mance Rayder n’est pas plus royal que le mien. Il n’a jamais coiffé de couronne, jamais posé ses fesses sur un trône. »

(AFFC, Samwell I)

En effet Jon, le sang de Mance Rayder n’est pas plus royal que le tien. Encore une fois on peut comprendre la phrase de deux façons. Le sang de Mance n’est pas royal car celui de Jon non plus … mais puisque Mance s’est couronné roi d’au-delà du Mur et que Jon n’a pas plus (mais pas moins) de sang royal que Mance, Jon est également de sang royal.

Nous avions un peu parlé de mestre Aemon dans AGOT, paix à son âme, voici son éloge funèbre à mettre en relation avec la citation tirée d’AGOT concernant Aemon :

He counseled kings as well. He could have been a king himself, but when they offered him the crown he told them they should give it to his younger brother. How many men would do that? He was the blood of the dragon, but now his fire has gone out. He was Aemon Targaryen. And now his watch is ended.

« Il a également conseillé des rois. Il aurait pu être roi lui-même, mais lorsqu’on lui a offert la couronne, il répondit qu’il fallait la donner à son frère cadet. Combien d’hommes feraient cela ? » […] « Il était le sang du dragon, mais son feu l’a maintenant délaissé. Il était Aemon Targaryen. Et voici que sa veille est terminée. »

(AFFC, Samwell IV)

Techniquement, Aemon n’a pas conseillé des rois. En fait il n’a jamais été grand mestre et jamais siégé au conseil, il fut le conseiller d’un prince (Daeron) mais pas d’un roi. L’assertion serait donc un peu étrange si l’on n’avait pas la citation suivante (voir section ADWD). Il a conseillé des rois. Au pluriel. Effectivement, il a donné à Jon (un roi) le même conseil qu’il avait donné autrefois à un autre roi (l’Œuf) ; édifiant, et superbe éloge de la part de Samwell.

Dans ADWD

Puisqu’on en parlait juste avant, commençons donc par celle-là :

« Allow me to give my lord one last piece of counsel , » the old man had said, « the same counsel that I once gave my brother when we parted for the last time. He was three-and-thirty when the Great Council chose him to mount the Iron Throne. »

« Permettez-moi, messire, de vous donner un dernier conseil, avait dit le vieillard, celui-là même que j’ai autrefois donné à mon frère lors de notre dernière séparation. Il avait trente-trois ans lorsque le Grand Conseil l’a choisi pour monter sur le Trône de Fer »

(ADWD, Jon II)

Mestre Aemon donne à Jon le même conseil qu’il donna à Aegon V (tiens, un autre dragon qui cachait son identité) avant que celui-ci ne devienne roi …

When Gilly entered, she went at once to her knees. Jon came around the table and drew her to her feet. “You don’t need to take a knee for me. That’s just for kings.”

Lorsque Vère entra, elle tomba aussitôt à genoux.
Jon contourna la table et vint la relever. « Tu n’as pas besoin de t’agenouiller devant moi. C’est juste pour les rois. »
(ADWD, Jon II)

Et pourtant elle s’agenouilla.

“Marriages and inheritance are matters for the king, my lady. I will write to Stannis on your behalf, but…
”Alys Karstark laughed, but it was the laughter of despair. “Write, but do not look for a reply. Stannis will be dead before he gets your message. My uncle will see to that.”

— Les affaires de mariages et d’héritages concernent le roi, madame. J’écrirai en votre nom à Stannis, mais… » Alys Karstark éclata de rire, mais c’était un rire de découragement. « Écrivez, mais n’attendez point de réponse. Stannis sera mort avant que de recevoir votre message. Mon oncle y veillera. »
(ADWD, Jon IX)

Et pourtant il organisa le mariage d’Alys.

“It makes him laugh. Oh, very well. He is a sweet little monster.”
“Monster?”
“His milk name. I had to call him something. See that he stays safe and warm. For his mother’s sake, and mine. And keep him away from the red woman. She knows who he is. She sees things in her fires.”
Arya, he thought, hoping it was so. “Ashes and cinders.”
“Kings and dragons.”
Dragons again. For a moment Jon could almost see them too, coiling in the night, their dark wings outlined against a sea of flame.

« Ça le fait rire. Oh, très bien. C’est un gentil petit monstre.
— Un monstre ?
— Son nom de lait. Fallait bien que je lui trouve un nom. Veillez à ce qu’il demeure en sécurité et au chaud. Pour sa mère et pour
moi. Et tenez-le à distance de la femme rouge. Elle sait qui il est. Elle voit des choses dans ses feux. »
Arya, songea-t-il, en espérant que c’était vrai. « Des cendres et des braises.
— Des rois et des dragons. »
Des dragons, encore. Un instant, Jon les vit presque, lui aussi, lovés dans la nuit, leurs ailes sombres se dessinant contre une mer de flammes.
(ADWD, Jon VIII)

Que Jon rêve de dragons, rien de surprenant si sa filiation est bien celle que l’on pense, le mot qui me fait tiquer dans le dialogue est plutôt celui du dessus. Que voit Mélisandre dans ses feux, des rois et des dragons selon Vère. Et nous savons bien par son PoV ce que Mélisandre voit dans ses feux malgré son désir d’y voir Stannis, elle voit Jon Snow. Roi et dragon à la fois.

Rattleshirt was leaning against a wall. A coarse stubble covered his sunken cheeks, and thin brown hair was blowing across his little yellow eyes.
“You flatter yourself,” Jon said. “Aye, but I’d flatten you.”
“Stannis burned the wrong man.”
“No.” The wildling grinned at him through a mouth of brown and broken teeth. “He burned the man he had to burn, for all the world to see. We all do what we have to do, Snow. Even kings.”

Clinquefrac était adossé contre un mur. Un début de barbe lui
mangeait des joues creusées, et de fins cheveux bruns dansaient devant ses petits yeux jaunes.
« Tu te flattes, répliqua Jon.
— Certes, mais j’ t’écrabouillerais.
— Stannis n’a pas brûlé l’homme qu’il fallait.
— Si. » Le sauvageon lui lança un sourire avec une bouche de chicots bruns et cassés. « Il a brûlé çui qu’i devait brûler, devant tout l’ monde. On fait tous c’qu’on doit faire, Snow. Même les rois.
(ADWD, Jon VI)

Encore une phrase pleine de doubles et triples sens, Clinquefrac étant en réalité un roi (Mance Rayder sous glamor) et Jon Snow un autre. Even kings.

Gods and wonders always appear, to attend the birth of kings.

« Les dieux et les merveilles se manifestent toujours, pour assister à la naissance des rois. »

(ADWD, Tyrion IV)

dit Tyrion à propos d’Aegon/Griff le Jeune. On a peu d’informations sur la « naissance » de Jon, mais que ce soit pour Jon ou pour Aegon, l’apparition du « dieu » ne se fait pas à la naissance physique, mais au moment où le personnage est révélé au lecteur. Et un « dieu » apparaît bien lors de l’apparition de Jon, ou en tout cas une merveille des anciens dieux, cinq bébés loups-garous, dont, hasard des hasards, un bébé albinos.

Et puisqu’on parle de lui, une citation tirée du prologue. Varamyr à propos de Fantôme.

Mance should have let me take the direwolf. There would be a second life worthy of a king.

« Mance aurait dû me laisser prendre le loup-garou. Voilà une Seconde Vie digne d’un roi »
(ADWD, Prélude)

Les suppositions sur le destin de Jon après ADWD vont bon train, mais la majorité des spéculations misent tout de même sur un passage au moins temporaire dans la peau de Fantôme, une second life digne d’un roi, Varamyr faisant dès le prologue un écho pertinent à la conclusion de ce tome.

Conclusion

Alors qu’y a-t-il à tirer de tout ça ? Honnêtement, pas foncièrement grand-chose. Mon but était principalement d’amener les gens à s’intéresser parfois autant à la forme du texte qu’à son fond, car si je sais que la majorité des gens ici sont bel et bien convaincus que Jon est bien le fils de Rhaegar et Lyanna de par les indices factuels, moins pensent comme moi que Jon est légitime (au moins au regard des dieux) car Rhaegar et Lyanna étaient mariés, et que parfois s’intéresser aux indices littéraires et narratifs est tout aussi enrichissant et source de questionnements pour les théories que de s’intéresser aux indices factuels.

Jon sera-t-il roi un jour ? Ou Jon n’est-il que la représentation métaphorique de l’être royal, le fameux prince qui fut promis ? Azor Ahaï ? Ou juste un tiers de prince, une tête de dragon ? On le saura peut-être un jour. Ou pas.
Mais il y a quand même là une sacrée base de réflexion. Histoire de s’occuper en attendant TWOW.

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