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Recommandations de mars : place aux femmes !

Recommandations de mars : place aux femmes !

En ce mois de mars 2021, comme ceux des années passées, la Garde remet en avant des voix de femmes, encore minoritaires parmi les publications – mais pas moins talentueuses pour autant. Voyez plutôt :

Chroniques du Pays des Mères, d’Elisabeth Vonarburg

Plusieurs centaines d’années après « le Déclin », une société peu technologique s’est reconstruite autour des femmes, car, à cause d’un mystérieux virus, rares sont les garçons qui naissent. Cet univers très féminin, jusque dans le langage (le neutre est féminin et non plus masculin), met à l’écart les hommes et a réinventé une mythologie, une tradition et des préjugés. Dans un contexte où beaucoup d’enfants meurent jeunes de la Maladie, les femmes sont contraintes d’enfanter régulièrement, alors que nous sommes dans un matriarcat.

Chroniques du Pays des Mères, d'Elisabeth Vonarburg, aux éditions FolioSF

Chroniques du Pays des Mères, d’Elisabeth Vonarburg, aux éditions FolioSF

Lisbeï, élevée pour devenir Mère (cheffe d’une des Familles), se révèle stérile et voit sa vie bouleversée : contrairement à ses sœurs, elle a la liberté de partir et de se former dans une Famille accueillant un système universitaire. De nature curieuse et n’hésitant pas à se poser des questions, elle va très vite s’intéresser au passé qui la passionne.

Ce pavé est à la fois très dense et prend son temps : c’est toute la vie de Lisbeï qui nous est retracée, de son plus jeune âge à la garderie jusqu’à ses derniers instants. Ses interrogations et ses réflexions intimes nous en apprennent beaucoup sur un univers où l’Histoire a été construite par des mythes, mais qui évolue lentement et parfois avec réticence. Plus on avance dans le livre, plus on a envie d’avoir les réponses à des énigmes sur l’origine de la religion et des coutumes figées, comme dans un roman policier où la victime serait la vérité.

Société plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, le Pays des Mères se divise entre croyants plus ou moins extrémistes et progressistes parfois prudents, entre tradition et souhait de découvrir le passé et le monde, dans un contexte culturel où le désir de survie des Familles met la fertilité au-dessus de tout. La Maladie et ses variantes, l’obsession des Lignées, et la peur des zones polluées engendrent un environnement contraignant pour les êtres humains qui ont perdu la liberté de choisir leur destin s’ils sont fertiles. Le passé — réinventé — et ses conséquences sont souvent un frein à l’avenir de cette humanité rescapée.

Ce roman foisonnant est une vraie expérience de lecture qui offre des sujets de réflexion nombreux.

FeyGirl

Binti, de Nnedi Okorafor

Binti, de Nnedi Okorafor (ActuSF)

Binti est une jeune fille Himba, culture isolée d’un petit bout de Terre, et vient d’être admise à l’université d’Oomza, une université interstellaire. A l’insu de sa famille, elle s’enfuit de chez elle pour poursuivre ses rêves et quitte donc pour la première fois sa planète pour partir étudier. Eux la voyaient reprendre le travail de son père, en sa qualité de maîtresse harmonisatrice, une capacité qui lui permet « d’harmoniser » ce qui l’entoure au travers de transes mathématiques. Sur le trajet, une tragédie va frapper son vaisseau… et je ne vous en dirai pas plus ^^.

Le roman (traduit par Erwan Devos et Hermine Hémon) est en fait un fix-up de trois nouvelles, qui se suivent comme des chapitres. La première des trois a d’ailleurs remporté le prix Hugo 2016 de la meilleure novella. Et c’est mérité : Binti est touchante, forte et pleine de nuances, et son histoire est prenante. L’univers décrit est très original, mêlant technologies obscures (que l’autrice rattache aux mathématiques… mais rassurons tout de suite les allergiques à la matière, rien à voir avec nos maths classiques xD), voyage spatial et espèces extraterrestres à des inspirations africaines, et nous amenant tour à tour dans l’espace, dans des lieux futuristes, puis sur une terre désertique au sein d’une culture ancestrale que l’on n’associerait pas de prime abord avec de SF. Nnedi Okorafor est l’une des plumes de l’africanfuturism (qu’elle a défini afin de distinguer son œuvre de l’afrofuturisme), et mêle avec brio des éléments de science-fiction et de réalisme magique à un cadre non occidental, mais en nous parlant également de féminin, de soi, de rêves d’enfants, avec une plume évocatrice et une histoire très abordable et haletante.

Les thématiques des nouvelles évoquent également l’acceptation de soi et de l’autre, et le traumatisme (quelque chose que je salue d’ailleurs : souvent, les héros de l’imaginaire vivent des horreurs tous les quatre matins et passent à autre chose… là ce n’est pas le cas : notre héroïne a vécu un traumatisme que le livre n’a pas peur d’aborder de front). Binti grandit, s’émancipe de sa culture et est déchirée entre plusieurs mondes. Une jolie histoire qui devrait avoir une suite (la troisième nouvelle s’achève sur un cliffhanger assez frustrant) et qui met en avant l’un des personnages féminins les plus chouettes que j’ai lus récemment !

Nymphadora

À mains nues, de Leïla Slimani, Clément Oubrerie et Sandra Desmazières

Le 4 novembre 2020, les éditions des Arènes sortaient le premier tome, sous-titré 1900 – 1921, d’À mains nues, une bande dessinée consacrée à Suzanne Noël, militante féministe et doctrice en médecine, pionnière de la chirurgie plastique, en particulier de la chirurgie maxillo-faciale pour les « gueules cassées », puis de la chirurgie esthétique, notamment au service de Sarah Bernhardt.

Couverture du tome 1 de "à mains nues"

à mains nues, tome 1, « 1900-1921 »

Ce tome 1 nous présente donc deux décennies de la vie de Suzanne Noël, qui voient la jeune épouse de médecin, récemment arrivée à Paris, découvrir sa vocation, commencer des études de médecine et, petit à petit, se faire une place dans cet univers encore très masculin, en particulier dans le service du professeur Morestin, pionnier de la chirurgie maxillo-faciale, avec lequel elle va tenter, durant la Première Guerre mondiale, de redonner visage – et ainsi un semblant de retour à la vie d’avant – aux blessés de guerre… Le tout en jonglant avec une vie domestique et amoureuse de plus en plus compliquée, parsemée des inévitables tragédies de cette époque qui voit la « Der des Ders » puis la grippe espagnole faucher les gens comme des blés. Installée comme médecine, intéressée par la cause des femmes, qui obtiennent outre-Manche le droit de vote, plus d’un quart de siècle avant leurs homologues françaises, elle va également importer la chirurgie esthétique, développée aux États-Unis.

L’autrice franco-marocaine Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, livre là un premier récit passionnant, tour à tour juste et touchant (notamment dans son analyse de la beauté comme capital social dont les femmes ne peuvent [alors ?] guère se passer, soulignant ainsi le pont entre chirurgie esthétique, parfois jugée frivole ou superflue, et le travail précédent sur les « gueules cassées »), militant (préfigurant les années suivantes et le rôle que prendra Suzanne Noël dans les mouvements féministes) et habilement poétique, liant explicitement arts et chirurgie plastique. Ce dernier aspect est sublimé par la partie graphique de Clément Oubrerie (dessinateur) et Sandra Desmazières (coloriste), optant durant la plupart des planches pour un trait noir épais aux couleurs presque charbonneuses, particulièrement propre à illustrer l’imaginaire de cette période sombre, mais qui, pour rendre compte de tableaux sanglants, pastiche Cézanne, Arcimboldo et d’autres, rendant artistiquement la BD plus riche et accessible.

La vie de Suzanne Noël ne s’est pas arrêtée en 1921, comme je l’ai déjà mentionné. Elle développera son art dans l’entre-deux-guerres, organisera la lutte pour les droits des femmes à travers des manifestations et des clubs soroptimist, et œuvrera au service des résistant-es durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que des rescapé-es des camps après. Si son histoire vous intéresse, je ne peux donc que vous encourager à vous procurer ce premier tome, pour découvrir cette figure peu connue de notre Histoire, et encourager les éditions des Arènes et les auteurices à publier la suite.

no one

La Trilogie des Grisha, de Leigh Bardugo

Cette trilogie, qui se classe dans la catégorie « fantasy pour jeunes adultes », se déroule dans le même univers que Six of Crows, que l’on vous avait déjà présenté il y a quelques années.

Shadow_and_Bone

Shadow and Bone, premier tome de la trilogie, de Leigh Bardugo (éditions Milan).

Dans le royaume de Ravka, un brouillard noir magique coupe du Nord au Sud le pays et limite fortement les échanges vers la côte et son port commercial. Issu d’un chaos magique provoqué par un puissant Grisha il y a plusieurs siècles, sa traversée est rendue périlleuse par la présence de monstres dans ces ténèbres.
L’histoire nous fait suivre une jeune cartographe introvertie et peu sûre d’elle, Alina Starkov, qui se retrouve au cœur d’une guerre qui dépasse de loin ses capacités.
Si ce schéma de départ (une orpheline qui se découvre un destin de sauveuse du monde) est finalement assez classique, l’univers et les personnages secondaires sont suffisamment bien décrits pour s’immerger rapidement dans le récit. La trilogie regorge de rebondissements variés, et alterne habilement entre actions et développements plus calmes. Après la découverte de ses pouvoirs, le lecteur va suivre la formation d’Alina – et par là même découvrir la caste des Grisha, mais aussi les intrigues politiques et le passé du royaume. Cette alternance entre les différents thèmes et environnements permet d’aborder les différentes facettes des protagonistes.
J’ai particulièrement apprécié la relation d’amour-haine entre Alina, qui arrive à ne pas être qu’une énième héroïne fade de fantasy, et le charismatique antagoniste, ainsi que le rôle de la magie des Grisha. Cette dernière, déjà entrevue dans Six of Crows, réussit à ne pas éclipser le rôle des personnages sans « pouvoir ». En particulier, voir les proches de l’héroïne devenir plus que de simples « faire-valoir » donne plus de profondeur à l’univers créé par Bardugo.
Bien que ce livre (traduit par Nenad Savic et Anath Riveline) soit adapté à un public jeune, avec les quelques défauts qui vont parfois de pair avec le genre, j’ai été totalement happé dès l’extrait présenté à la fin de Six of Crows (bravo aux éditions Milan !). Signe qui ne trompe pas, j’ai eu ce petit pincement nostalgique en terminant la saga. En un mot, une trilogie de fantasy à mettre dans toutes les mains.

Pour continuer l’aventure, Bardugo a écrit plusieurs recueils de nouvelles, toujours dans l’univers Grisha, de qualité assez variable. Le premier tome d’une nouvelle duologie, Rule of Wolves, a également été publié en 2019. Enfin, Netflix va sortir en avril 2021 une adaptation de la trilogie des Grisha, sous le nom de Shadow and Bone.

Ezor

Sœur d’Ys, de Joséphine Rioux et Matthew Tobin Anderson

Sœurs d’Ys, M.T. Anderson et Jo Rioux (éditions Rue de Sèvres)

Ys, est une ville d’une beauté merveilleuse avec son palais et ses jardins aux milieux des mers. Sa souveraine, Malgven, « reine du Nord » a utilisé sa magie pour maîtriser les monstres marins et ériger de grands murs qui protègent la cité des eaux tumultueuses. Après son inexplicable mort, ses filles s’éloignent l’une de l’autre. Rozenn, l’héritière du trône, passe son temps dans les landes à communier avec les animaux sauvages, tandis que Dahut, la plus jeune, jouit des splendeurs de la vie royale et tue sans regret ses amants au petit matin. Plus leurs destinées s’opposent et plus Ys se fragilise. Les écluses ne protègent plus la cité confrontée aux assauts de la mer. Quel secret cachait la reine ? Telle l’Atlantide, Ys est-elle condamnée à sombrer dans les abysses ?

Rien de bien nouveau sous le soleil dans cette bande dessinée, me direz-vous de prime abord, puisqu’elle reprend la légende bretonne de la ville d’Ys et son inexorable chute. Toutefois, elle a le mérite de concentrer ici toutes les versions qui existent en une seule, et surtout, elle opère une dédiabolisation du personnage de Dahut ! Et ce n’est pas rien, pour une figure de sorcière qui a trop longtemps fait les frais d’un regard masculino-catholique. Au contraire, en mettant en avant la sororité de Rozenn et Dahut, leurs différences (leurs rapports aux hommes) comme leurs points communs (la magie), le récit réunit ici les deux faces d’une même pièce sans jamais juger. Le graphisme, magique, soutient le propos de la plus belle des manières et c’est avec un petit pincement de cœur que l’on referme trop vite ces pages.

Et si les affaires de paganisme, de sorcières, de sororité et de féminisme vous titillent, prenez rendez-vous avec vos cinémas quand ils rouvriront pour aller voir Le Peuple Loup, puisque sa sortie cinéma a été repoussée, mais est toujours prévue, et que la France est un des rares pays à avoir le privilège de l’avoir en salles.

Crys

La trilogie du Tearling, d’Erika Johansen

Ce n’est pas un, pas deux, mais trois romans que je vous propose cette fois-ci !

La reine du Tearling, Erika Johansen (éditions J.-C. Lattès)

On y suit Kelsea Raleigh, fille de la reine Elyssa, qui a grandi en exil, et lui succédera à ses dix-neuf ans ; enfin, elle essaiera… La place n’est pas vide, son oncle a pris le pouvoir. Et elle ne s’en sent pas capable. Elle devra conquérir le pouvoir et son peuple. Mais ce qu’elle va découvrir dans « son » pays va lui donner la force pour y arriver. Dans un parcours semé d’embuches, nous allons pendant plusieurs tomes suivre sa prise de pouvoir et de confiance en elle, pour passer d’une jeune adolescente ayant vécu recluse en forêt, avec ses gardiens, à une femme forte ne se laissant pas faire. Entre corruptions et atrocités, autant dire que ce qui reste de « son » pays n’est pas glorieux… Souhaitant faire table rase du passé et de l’héritage de sa mère, elle s’engagera dans une voie très audacieuse, qui aura pour première conséquence de plonger le pays dans un nouveau tourment – se faisant de nombreux ennemis au passage : son oncle, la Reine rouge…

Trois tomes (tous traduits par Valérie Rosier) aux titres différents selon l’éditeur (La Reine du Tearling, L’Invasion du Tearling et Le Sort du Tearling chez Jean-Claude Lattès ; Reine de cendres, Révolte de feu et Destin de sang au Livre de Poche), il faut avouer qu’avec cette trilogie nous sommes un peu déboussolés. Nous commençons dans un schéma fantasy plutôt banal : une reine en devenir, une prise de pouvoir, des ennemis. Mais une héroïne qui ne se laisse pas faire, et ça c’est bien ce qui nous intéresse ici ! L’écriture est fluide, les événements s’enchainent, c’est assez captivant pour nous faire dire « Oui, je dois lire le tome 2 », si bien que j’ai pu enchainer les trois (ce ne sont pas de gros pavés non plus, ça change :p). Et puis, dans le tome 2, la reine a grandi, elle prend ses propres décisions, même si parfois ce ne sont pas toujours les bonnes. Les intrigues s’intensifient, et petit à petit nous en apprenons un peu plus sur le royaume de Tear et sa création. La magie rentre dans l’intrigue, même si au début nous ne comprenons pas toujours où elle nous mène. Enfin arrive le tome 3, où le récit évolue entre dystopie et fantasy, et c’est particulièrement là que j’ai vraiment aimé. On voit une intrigue se construire progressivement, mais à laquelle nous ne nous attendions pas, et ce jusqu’à la fin. Je n’en dirai pas plus, la découverte à la lecture est toujours la meilleure.

Alors, ce n’est pas un « grand » roman, mais c’est une parfaite introduction à la littérature de ce genre, avec une reine en devenir, forte et intéressante (il y a bien quelques fixations qu’elle fait qui m’ont dérangée, je ne vais pas mentir, notamment sur son physique…), l’univers en lui-même est intéressant et je n’avais encore jamais lu un tel « mélange » (mais je ne suis pas une experte non plus, cela va sans dire).

Malicia

Conclusion

Pour d’autres idées de lecture, n’hésitez pas à consulter la liste de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit.

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Compte collectif de La Garde de Nuit.

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