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Retours sur l’épisode pilote de Game of Thrones

Retours sur l’épisode pilote de Game of Thrones

La série Game of Thrones s’est achevée l’année dernière, mais elle est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.
Le journaliste James Hibberd (Entertainment Weekly), qui a suivi la série depuis les coulisses, des prémices en 2009 à la dernière saison en 2020, revient sur sa création dans le livre Fire cannot kill a Dragon, à paraître le 6 octobre outre-Atlantique – le livre sera publié chez nous en novembre par les éditions Pygmalion sous le titre de « Le Feu ne tue pas un dragon ». En attendant sa sortie, Entertainment Weekly en propose un extrait qui revient sur le fameux épisode-pilote (2009) de la série, inconnu du grand public (il n’a jamais été dévoilé), mais dont tous s’accordent à dire qu’il était mauvais. Nous vous avions déjà proposé un retour en 2019 sur ce pilote et sur un certain nombre d’éléments qui avaient alors pu être dévoilés.
Le nouvel article d’Entertainment Weekly permet d’apporter quelques éléments complémentaires, et de se pencher sur les problématiques d’adaptation d’une œuvre papier à l’écran.

The king’s arrival

Dans l’épisode pilote, lorsque Robert Baratheon et sa suite arrivaient dans la cour de Winterfell, personne ne s’agenouillait pour les accueillir. Et c’est effectivement le cas dans les livres, où le chapitre qui nous raconte l’arrivée de Robert – du point de vue d’Eddard Stark – montre presque immédiatement l’accolade entre les deux amis. L’épisode-pilote avait donc fait le choix d’une adaptation littérale.

Tel un fleuve d’or, d’argent, d’acier poli, les visiteurs inondaient la poterne. Incarnant la force et la fine fleur du royaume, ils étaient là trois cents, tant bannerets que chevaliers, lames-liges ou francs-coureurs. […] En tête venait, flanqué de deux chevaliers drapés dans la longue cape neigeuse de la garde royale, un colosse qu’il hésitait encore à identifier… quand celui-ci, bondissant à terre avec un rugissement familier, lui broya les os dans une accolade qui interdisait toute méprise : « Ned ! quel bonheur de revoir ta gueule de croque-mort ! » Le roi l’examina de la tête aux pieds et, dans un éclat de rire, tonitrua : « Pas changé du tout ! »

AGOT, Eddard 1, chapitre 05

Cependant, dans le livre, le statut de Robert ne pose aucun problème d’identification : il a été introduit avec son titre royal dès le prologue, et il apparaît dans tous les chapitres qui précèdent son arrivée (Bran I, Catelyn I, Daenerys I, et le chapitre de son arrivée donc, Eddard I). Le lecteur a donc eu le temps d’assimiler qui il était.
Le spectateur en revanche a eu beaucoup moins de temps. Il lui a déjà fallu entrer dans un nouveau monde, et identifier les premiers personnages. Robert est rapidement mentionné avant son apparition, lorsque Catelyn retrouve Eddard au pied du barral, mais on ne s’y attarde pas vraiment. Son arrivée à Winterfell, environ au milieu de l’épisode, soit au bout d’un peu plus de 20 minutes seulement, est véritablement la première fois où le spectateur l’identifie.
C’est la raison pour laquelle ils ont changé cet élément : dans la version finale de l’épisode 1, les Stark s’agenouillent à l’arrivée du roi, pour bien illustrer sa place et son statut hiérarchique au-dessus de ses vassaux. Cet exemple montre bien la nécessité et l’importance du travail d’adaptation, y compris sur ces petits détails, et cela illustre parfaitement le pouvoir évocateur et l’efficacité des images.

Arrivée du roi à Winterfell (Game of Thrones, saison 1, épisode 1 – HBO)

Joffrey, une question de coupe de cheveux

« Joffrey avait une coupe de cheveux différente. Dans le premier pilote, elle était coupée au carré, un peu comme Henry V », nous explique le producteur Christophe Newman. Intéressant de voir que les showrunners ont commencé par reprendre une des grandes inspirations historiques de George R. R. Martin, à savoir l’Angleterre du XVe siècle. Mais cela ne correspondait pas bien au caractère du prince Lannister. L’équipe a alors opté pour une coupe plus « moderne » qui « lui donnait plus de méchanceté » (Christophe Newman). Le hasard (?) fait que la nouvelle coupe, celle que l’on voit dans la série, ressemble beaucoup – comme cela a régulièrement été pointé – à un buste de l’empereur romain Caligula. Et cela colle en fait très bien : Caligula est un empereur qui incarne dans l’imaginaire commun l’archétype du souverain jeune, orgueilleux et cruel, et ce dès l’époque antique.

Modèles capillaires

Des arcs narratifs confus

Exposer les relations entre les personnages à l’écran sans faire de l’exposition artificielle n’est pas forcément toujours évident. Nous le savions déjà, mais l’article d’Entertainment Weekly confirme bien que les liens entre Jaime et Cersei étaient ratés : les premiers spectateurs n’avaient pas compris qu’ils étaient frère et sœur. Cela impacte la compréhension et la portée du geste de Jaime, qui pousse Bran du haut de la tour à la fin du premier épisode. C’est ainsi que la scène à Port-Réal entre Jaime et Cersei devant le cadavre de Jon Arryn a été ajoutée.

La même problématique se posait pour présenter aux spectateurs la Rébellion de Robert, si importante. Le livre la dévoile par petites touches, au fil des pages, et au fur et à mesure des pensées des personnages, de leurs souvenirs, des lieux où ils passent (la crypte de Winterfell). Cette intrication du passé dans la narration présente est un point qui est d’ailleurs souvent soulevé pendant notre relecture de la saga.
Le système de narration de la série ne fonctionnant pas par « Point de Vue », il fallait donc trouver un moyen d’exposer ce passé récent. Si un flash-back évoquant la mort de Brandon Stark (le frère aîné de Ned, tué par Aerys II) a été proposé dans le pilote, l’idée a rapidement été abandonnée : il risquait d’être bien trop artificiel, surtout dès le premier épisode, ou de semer la confusion dans une histoire déjà complexe. On note que par la suite, les showrunners ont contourné une partie du problème en ajoutant des scènes, absentes des livres, comme celle entre Robert et Cersei parlant de leur couple.

Enfin, le dosage d’éléments fantastiques a aussi posé question dans l’épisode-pilote. Fallait-il mettre l’accent dessus afin de bien camper l’aspect fantasy de la série, ou bien fallait-il en diminuer l’importance pour davantage se rapprocher d’un style « fiction historique » ? Le pilote avait coupé trop d’éléments magiques, rendant l’univers un peu bancal. D’après d’autres sources, il semble en effet que le prologue, introduisant dans les livres la menace des Autres (plutôt appelés Marcheurs Blancs dans la série) avait été relégué à un second temps. Le pilote s’ouvrait initialement sur la scène de mort de Jon Arryn. Bien que cela ait été changé dans la version finale, on voit que dès le départ, les showrunners avaient l’intention de plus mettre l’accent sur les aspects politiques que sur les aspects fantastiques (le choix du titre Game of Thrones plutôt que A Song of Ice and Fire et la fin de la saison 8 vont aussi dans ce sens).

Acteurs et remplacements

Deux changements d’actrices notables : Emilia Clarke (Daenerys Targaryen) qui remplace Tamzin Merchant, et Michelle Fairley (Catelyn Stark) qui prend la place de Jennifer Ehle. Concernant la première, c’est une décision des showrunners, qui n’ont pas été convaincus par l’interprétation de Daenerys par Tamzin Merchant. Dans le second cas, c’est Jennifer Ehle qui a décidé de se retirer. David Benioff a alors contacté Michelle Fairley qu’il avait vu jouer dans Othello (les pièces de Shakespeare sont un passage obligé pour les acteurs anglo-saxons).

Jennifer Ehle et Michelle Fairley (Catelyn Stark) ; Emilia Clarke (Daenerys Targaryen) et Tamzin Merchant

Le réalisateur Tom McCarthy a également laissé sa place à Tim Van Patten, plus expérimenté puisqu’il avait déjà une longue carrière derrière lui (il avait notamment travaillé sur Les Soprano, Deadwood et Rome). C’est lui qui a semble-t-il pris la décision de retourner plusieurs scènes.

Et une des conséquences, là-aussi déjà connue : le caméo de George R. R. Martin dans la série est passé à la trappe. Il incarnait en effet un noble pentoshi au mariage de Daenerys Targaryen et de Khal Drogo, mais cet événement ayant été filmé de nuit, il rendait très mal à l’écran – cela rappelle une autre histoire. Il nous reste (heureusement) quelques photos !

GRRM en noble pentoshi, sur le tournage du pilote de Game of Thrones (un peu triste de ne pas l’avoir vu en vrai)

Rickon, le dernier de la fratrie

Attention, petit spoil des futurs tomes du Trône de Fer.
Les deux showrunners voulaient à l’origine couper Rickon, le dernier enfant Stark, du récit. Il avait en effet assez peu d’importance dans le premier livre (AGOT) et disparaît dès le tome 2 (ACOK). À l’époque, en 2009, le tome 5 (ADWD) dans lequel on a des indices sur le lieu où il se trouve, n’était pas encore sorti (bon, avouons-le aussi, on ne peut pas dire que dans ce dernier tome, il soit essentiel à l’intrigue). Mais GRRM leur dit qu’il avait pour Rickon des « plans importants ». Ils ont donc fait le choix de le garder. Aujourd’hui avec le recul, et au vu de ce qu’ils ont fait de ce personnage dans la série, on se dit que l’enlever n’aurait pas changé grand chose. On voit là toute la difficulté de l’adaptation et des choix à faire lorsqu’il s’agit de couper des arcs narratifs. À ce moment, Martin était encore optimiste sur le fait de finir sa saga avant la fin de la série, le sort de Rickon et son implication dans les livres auraient donc été connus. C’est clairement un support sur lequel comptait les showrunners qui s’est effondré, et qu’ils n’ont finalement pas su rattraper. On ne sait pas si par la suite GRRM leur a confié le destin de Rickon. Mais leur choix aura été de supprimer le jeune Stark dont il ne savait vraiment pas quoi faire, dans une scène pensée à l’origine pour créer de la tension (va-t-il échapper aux flèches de Ramsay Bolton ?) et de la tristesse, mais dont la réalisation aura plutôt abouti à un cliché du genre (courir tout droit).
Une chose est sure en tous cas : il y a là un élément dont on est certain qu’il sera bien différent entre livres et série.

« Alors là, c’est tout droit » – Game of Thrones, HBO

Conclusion : un pilote sur la sellette, une série de la seconde chance

La série a failli ne pas être commandée. Dix millions avaient déjà été investis, et la question se posait sérieusement de savoir s’il fallait continuer les frais. Richard Plepler, ancien co-président et CEO de HBO, et seul décisionnaire sur ce projet, a finalement donné son accord en voyant le potentiel de la saga. Dix épisodes ont alors été commandés, y compris une refonte de l’épisode-pilote, qui deviendra deux ans plus tard, l’épisode 1 de Game of Thrones. Un choix finalement plus que gagnant pour la chaîne, la série ayant explosé tous les records de visionnage et de popularité.

Fire Cannot Kill a Dragon, Game of Thrones and the Official Untold Story of the Epic Series, par James Hibberd

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