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A Dance with Dragons / Approfondissements

La tourte aux Frey

Wyman Manderly (crédits : Jake Murray, Fantasy Flight Games, montage : Nymphadora)

Il y a deux semaines, nous vous parlions de la « Grande Conspiration nordienne ». Deux semaines auparavant, nous revenions sur le meurtre de Petit Walder. Il est temps maintenant de poursuivre notre série de théories nordiennes avec un nouvel article qui peut être vu comme un court extrait du « huis-clos de Winterfell » : la théorie des Tourtes. Cet article achèvera notre trilogie nordienne, en espérant vous avoir éclairés sur la situation à Winterfell à la fin de ADWD.

Illustration de tête : Jake Murray pour Fantasy Flight Game ; montage : Nymphadora (la Garde de Nuit)

Cet article est disponible au format audio, narré par Werther, dans un épisode de la Chandelle de Verre.

Une coutume que les Nordiens honorent plus que tout autre sont les droits de l’hôte, la tradition d’hospitalité selon laquelle un homme ne peut attenter à un invité sous son toit, ni l’invité à son hôte. […] Dans le Nord les crimes où le droit de l’hôte a été violé sont rares mais sont toujours traités aussi sévèrement que les pires trahisons. Seul le régicide est considéré comme étant de la même gravité.

TWOIAF, Les Sept Couronnes : Le Nord

Violer les droits de l’hôte est considéré dans le Nord comme un véritable sacrilège. Avec les Noces Pourpres, les Frey se sont fait parmi les Nordiens des ennemis mortels, lesquels, non content de se venger, vont chercher à châtier les Frey et leurs alliés.

Lord Manderly, le riche seigneur de Blancport, banneret de la maison Stark, a perdu son fils cadet Wendel lors des Noces Pourpres. Obligé de jouer le jeu des Lannister qui menaçaient d’exécuter son fils survivant Wylis, il a ployé le genou et feint de s’être rallié aux Bolton et aux Frey. Mais que l’on ne s’y trompe pas, lord Manderly se souvient et entend bien se venger… et chez lui, la vengeance semble être un plat qui se mange en tourte, accompagnée de La Treille auré. C’est en tous cas ce que postule notre théorie du jour, qui prend sa source entre les pages d’ADWD.

Lord Manderly se souvient

Blason de la Famille Manderly par Evrach

Blason de la Famille Manderly par Evrach

Encore au début d’ADWD, Wyman Manderly, banneret de la maison Stark, est pieds et poings liés après les Noces Pourpres et la mort de son fils Wendel. En effet, la Couronne fait peser sur lui un chantage le contraignant à l’obéissance sous peine de conduire à la mort de son seul héritier, Wylis. Wylis, capturé lors d’une bataille, ne lui sera rendu que contre son ralliement sans équivoque à la cause du roi Tommen Baratheon et une rançon de trois mille dragons d’or. Lord Roose Bolton exige par ailleurs sa renonciation à toute prétention sur la succession Corbois (en effet, dans ACOK, apprenant le rapt et le mariage forcé de lady Donella Corbois par Ramsay, lord Wyman Manderly s’empressa de faire main basse sur le château de cette dernière, au motif de le mettre à l’abri de la convoitise de la maison Bolton. Les terres des Corbois sont depuis le théâtre d’escarmouches entre les Bolton et les chevaliers des Manderly). En sus, lord Walder Frey lui demande de marier les deux filles de ser Wylis, Wynafryd et Wylla, à des membres de la maison Frey.

Prudent, lord Wyman a demandé le retour de son fils sain et sauf avant de se soumettre, mais il a versé la rançon. En conséquence, le début d’ADWD voit le retour de Wylis à Blancport sain et sauf. Lord Wyman, qui feint de s’être rallié aux Lannister, a donc enfin les mains libres pour se venger des Frey, ce qu’il entend bien faire, comme il le dit lui-même à Davos.

(Wyman Manderly à Davos Mervault) « Mon fils Wendel est arrivé en invité aux Jumeaux. Il a partagé le pain et le sel de lord Walder et a accroché son épée au mur pour banqueter avec des amis. Et ils l’ont assassiné. Assassiné, je dis, et puissent les Frey s’étouffer sur leurs fables. Je bois avec Jared, je plaisante avec Symond, je promets à Rhaegar la main de ma propre petite-fille chérie… Mais ne vous figurez jamais que cela signifie que j’aie oublié. Le Nord se souvient, lord Davos. Le Nord se souvient et la farce du bateleur est presque arrivée à son terme. »
(ADWD, Chapitre 30, Davos IV)

La disparition des Frey

Après la prétendue soumission de Wyman à la Couronne, une délégation Frey se rend à Blancport à bord de la galère Le Lion afin d’apporter à lord Wyman Manderly les ossements de son fils ser Wendel et d’obtenir son ralliement officiel au roi Tommen Baratheon. Ils ont pour mission de fraterniser avec les Manderly, en vue des prochains mariages entre leurs maisons, tout en les surveillant étroitement

Ils prennent ensuite tous ensemble la direction de Winterfell afin de se rendre au mariage de Ramsey Bolton avec « Arya Stark ». Lord Manderly offre alors à ses invités Frey des « cadeaux de courtoisie » – de beaux palefrois rapides – se déliant ainsi à leur égard de ses devoirs d’hôte.

« Maintenant, je me dois d’aller assister à un mariage. […] Roose Bolton me veut à genoux et, sous le velours de la courtoisie, il laisse paraître le fer de la maille. J’irai par barge et par litière, escorté d’une centaine de chevaliers et de mes bons amis des Jumeaux. Les Frey sont arrivés ici par mer. Ils n’ont pas pris de chevaux, aussi offrirai-je à chacun un palefroi, des cadeaux de courtoisie. Les invités regardent-ils à deux fois les présents qu’on leur donne, dans le Sud ?
— Certains le font, messire. Le jour du départ de leur hôte.
— Peut-être avez-vous compris, en ce cas. »
(ADWD, Chapitre 30, Davos IV)

Plus tard, lord Wyman ne manquera d’ailleurs pas de rappeler ces cadeaux lorsque l’ambiance se tendra entre lui et ser Hosteen Frey, à Winterfell.

« […] Où sont mes parents, Manderly ? Dites-le-moi. Vos invités, qui vous ont ramené votre fils.
— Ses os, voulez-vous dire. » Manderly harponna une pièce de jambon avec son poignard. « Je me souviens clairement d’eux. […] Il y a maints dangers sur la route, ser. J’ai offert à vos frères des présents d’invités quand nous avons pris congé de Blancport. Nous avons fait serment de nous revoir aux noces. »
(ADWD, Chapitre 47, Un fantôme à Winterfell)

Jared, Symond et Rhaegar Frey prennent ainsi la route de Tertre-bourg avec lord Wyman. Pourtant, arrivé à Tertre-bourg, les trois cousins sont introuvables… Arrivé sans eux, lord Manderly prétend qu’ils sont partis en avant sans l’attendre. Malgré seize jours de recherches menées par lord Ramsay Bolton et sa meute, personne n’arrive à retrouver les disparus.
Lord Wyman est bien sûr le premier suspect de cette disparition, comme l’exprime sans fard Grand Walder, qui a fait partie de l’équipe de recherche, à Theon.

« Avez-vous retrouvé vos cousins, messire ?
— Non. Je n’ai jamais imaginé que nous les trouverions. Ils sont morts. Lord Wyman les a fait tuer. C’est ainsi que j’aurais agi, à sa place. »
(ADWD, Chapitre 33, Schlingue)

Lord Bolton et son fils ne se font eux-même guère d’illusion sur l’innocence de lord Wyman, mais le temps et l’envie leur manquent pour aller plus loin.

« […] Lord Wyman se sent coupable. À l’écouter conter les choses, il s’était particulièrement entiché de Rhaegar. »
L’ire de lord Ramsay montait. Schlingue le lisait à sa bouche, à l’inflexion de ces lippes épaisses ; à la façon dont les tendons saillaient sur son cou. « Ces imbéciles auraient dû rester avec Manderly. »
Roose Bolton haussa les épaules. « La litière de lord Wyman se déplace à l’allure d’un escargot… et, bien entendu, la santé et le tour de taille de Sa Seigneurie ne lui permettent pas de cheminer plus de quelques heures par jour, avec de fréquents arrêts pour se restaurer. Les Frey avaient hâte d’atteindre Tertre-bourg et de retrouver les leurs. Peux-tu leur reprocher d’être partis en avant ?
— Si c’est bien ce qu’ils ont fait. Croyez-vous Manderly ? »
Les yeux pâles de son père pétillèrent. « T’en ai-je donné l’impression ?
(ADWD, Chapitre 33, Schlingue)

Donc le meurtre des Frey par lord Wyman semble faire peu de doute chez les Bolton, et chez les Frey eux-mêmes. Il est même presque considéré comme normal. Mais la vengeance de lord Wyman s’est-elle arrêtée là ?

La tourte aux Frey

Lors du banquet des noces de lord Ramsay Bolton et lady « Arya Stark » à Winterfell, lord Manderly fait servir trois énormes tourtes aux légumes et à la viande de porc.

Le sire de Blancport avait fourni la chère et la boisson, […] Les invités de la noce se gavèrent […] de trois grandes tourtes de mariage, d’un diamètre de roues de chariot, aux croûtes feuilletées farcies jusqu’à en éclater de carottes, d’oignons, de navets, de panais, de champignons et de pièces de porc épicé baignant dans une succulente sauce brune. […] Wyman Manderly les servit en personne, présentant les premières portions fumantes à Roose Bolton et à sa grosse Frey d’épouse, les suivantes à ser Hosteen et ser Aenys, les fils de Walder Frey. « La meilleure tourte que vous ayez jamais goûtée, messeigneurs, promit le lord obèse. Arrosez-la d’auré de La Treille et savourez-en chaque bouchée. Je sais que ce sera mon cas. »
(ADWD, Chapitre 38, Le prince de Winterfell)

L’acte pourrait paraître anodin : il n’est pas rare de manger des tourtes à un mariage, comme nous l’a montré la fameuse tourte aux pigeons qui étouffa Joffrey Baratheon… On peut être surpris de l’appétit que lord Manderly déploie au cours du banquet.

Fidèle à sa parole, Manderly en dévora six portions, deux de chacune des trois tourtes, claquant des lèvres, se tapant la panse et s’empiffrant jusqu’à ce que le plastron de sa tunique fût à moitié bruni de taches de sauce et sa barbe semée de miettes de croûte. Même la grosse Walda Frey ne put rivaliser avec sa gourmandise, bien qu’elle réussît à en dévorer elle-même trois parts. Ramsay mangea lui aussi de bon cœur […]
(ADWD, Chapitre 38, Le prince de Winterfell)

Mais il y a une bonne raison à cela : il veut convaincre tout le monde de manger ces tourtes.

« Si vous croyez, madame, que lord Manderly cherche à nous trahir, c’est à lord Bolton qu’il faut le dire.
— Croyez-vous que Roose ne le sait pas ? Petit naïf. Observez-le. Voyez comme il surveille Manderly. Aucun mets ne touche les lèvres de Roose que celui-ci n’ait d’abord vu lord Wyman en manger. Aucune coupe de vin qu’il boive tant qu’il n’a pas vu lord Wyman boire du même fût.
(ADWD, Chapitre 38, Le prince de Winterfell)

Lord Wyman fait dès lors preuve d’une surprenante exubérance et insiste lourdement sur la qualité de ces tourtes qu’il a lui-même servies à ses hôtes.

« La tourte au cochon ne vous allèche pas, messire ? La meilleure que nous ayons jamais goûtée, comme notre gras ami voudrait nous en convaincre. » D’un mouvement avec sa coupe de vin, [lady Dustin] indiqua lord Manderly. « Avez-vous jamais vu gros homme si heureux ? Il en danserait. Et il nous a servis de ses propres mains. »
C’était la vérité. Le sire de Blancport était le vivant portrait de l’obèse jovial, tout en ris et sourires, plaisantant avec les autres seigneurs et leur administrant des claques dans le dos, hélant les musiciens pour réclamer tel ou tel air. « Joue-nous La Nuit suprême, chanteur, beugla-t-il. Elle va plaire à la mariée, celle-là, je le sais. Ou chante-nous l’histoire du brave et jeune Danny Flint et fais-nous pleurer. »
(ADWD, chap. 38, Le prince de Winterfell)

Plus tard, Theon nous évoquera d’ailleurs encore ce surprenant engouement pour les tourtes. Juste après s’être remémoré l’étrange disparition des trois Frey, il remarquera en effet que lord Wyman engloutit son gruau d’avoine avec beaucoup moins d’entrain qu’il n’en avait eu pour les tourtes du mariage.

Plus étonnant encore : à la fin du banquet, lord Wyman, ivre-mort, réclame au barde Abel une chanson sur le Rat Coq, personnage légendaire maudit pour avoir violé les lois de l’hospitalité, et qui fut condamné à manger ses propres enfants.

Lord Manderly était tellement ivre qu’il fallut quatre solides gaillards pour l’aider à quitter la grande salle. « Nous aurions dû avoir une chanson sur le Rat Coq », bredouilla-t-il, croisant Theon en titubant, soutenu par ses chevaliers. « Chanteur, joue-nous une chanson sur le Rat Coq. »
(ADWD, Chapitre 38, Le prince de Winterfell)

C’était ici que le Rat Coq avait servi au roi andal sa tourte de prince au lard,
[…]
C’est là-dessus, se persuada-t-il, que le Rat Coq débita le prince, et dans l’un de ces fours qu’il fit cuire sa tourte.
[…]
Le Rat Coq avait mitonné le prince andal dans une énorme croûte, avec des oignons, des carottes, des champignons, des masses de poivre et de sel, une bonne tranche de lard fumé, plus un rouge de Dorne on ne peut plus sombre, et puis il l’avait servi à son père qui, non content d’en vanter le goût, en réclama une seconde portion. A la suite de quoi les dieux, métamorphosant le cuisinier en un monstrueux rat blanc, l’avaient condamné à ne manger rien d’autre que ses propres petits. Il hantait Fort Nox depuis lors mais, si fort qu’il s’y repût de sa progéniture, sa faim demeurait toujours inassouvie. « Or, ce ne fut pas le meurtre perpétré qui lui valut la malédiction divine, disait Vieille Nan, ni le fait d’avoir servi au roi andal son propre fils en tourte. La vengeance est un droit de l’homme. Mais il avait tué un hôte sous son propre toit, et, ce crime-là, les dieux ne sauraient en aucune manière le pardonner. »
(ASOS, Chapitre 57, Bran)

Ces éléments mis bout à bout nous permettent de construire une théorie d’une logique imparable : lord Wyman Manderly a fait assassiner les trois Frey venus à Blancport (Jared, Symond et Rhaegar) quelque part entre Blancport et Tertre-bourg, puis en a fait cuisiner les cadavres pour les servir dans les trois énormes tourtes aux légumes et à la viande de porc, servies lors du banquet !

Conclusion

Si une Grande Conspiration nordienne est peu probable, il est en tous cas certain que le Nord n’a pas digéré les Noces Pourpres. La vengeance est un plat qui se mange froid… et manifestement lord Manderly a préféré le plat cuit à point avec des petits légumes et accompagné d’un bon vin. Reste à savoir si la digestion sera plus facile pour l’alliance entre Frey et Bolton… ils semblent en tous cas ne se douter de rien en ce qui concerne ces délicieuses tourtes dont ils se sont régalés !

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1 Comment

  1. > ils semblent en tous cas ne se douter de rien en ce qui concerne ces délicieuses tourtes dont ils se sont régalés !

    Je ne suis pas d’accord

    « Que suggérez-vous, Frey ? » Le sire de Blancport se frotta les lippes de la manche. « Votre ton ne me plaît point du tout, ser. Non, je ne le digère pas.
    — Sortez dans la cour, sac de suif, et je vous donnerai bien autre chose à digérer », riposta ser Hosteen.
    Wyman Manderly éclata de rire, mais une douzaine de ses chevaliers se levèrent d’un même élan. Il échut à Roger Ryswell et à Barbrey Dustin de les apaiser par des paroles posées. Roose Bolton ne dit rien du tout. Mais Theon Greyjoy vit dans ses yeux pâles une expression qu’il n’y avait encore jamais vue – un malaise, et même un soupçon de peur. »
    Extrait de Le Trône de Fer – L’Intégrale 5 (Tomes 13 à 15) Theon

    Je pense que Bolton vient juste de comprendre. De prime à bord, on pourrait croire qu’il a peur par rapport aux éclats entre les Frey et Manderly. Mais Lord Bolton (dans d’autres extraits » et bien conscient que « Mon gras ami ourdit une conspiration ». Pourquoi Manderly éclate de rire et l’expression de Bolton juste après « un malaise ».

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