Le Roi de la Nuit

  • Ce sujet contient 31 réponses, 14 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Emmalaure, le il y a 5 années et 10 mois.
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    Dima
    • Patrouilleur du Dimanche
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    Merci du conseil. On me l’a souvent conseillé et le premier roman est dans ma PAL, je ne voyais pas le rapprochement entre les deux oeuvres et ton explication m’intrigue grandement. Du coup ce sera une de mes prochaines lectures, maintenant je ne sais plus qui a dit cela, mais on s’inspire constamment des autres, maintenant je ne doute pas que GRRM a fait du neuf avec du vieux, mais en y ajoutant ses propres idées. Merci pour ton conseil, je prends note.

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    #27761
    Emmalaure
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    Ah voilà, j’avais mis le sujet dans un coin et l’avais oublié ! Je me permets de copier ici une partie d’un article de mon blog sur la légende du Roi de la Nuit à Fort Nox, et tu vas pouvoir y reconnaître un certain nombre de points déjà noté ici par les différents participants (l’article a quasi deux ans, je n’ai rien fait de neuf, en fait, mais juste approfondi. Il y aurait des trucs à retirer/ajouter/changer, mais je ne m’y suis pas encore attelée ^^). Les citations sont en italique et quand la référence n’est pas mise, c’est qu’elle est tirée du chapitre d’ASOS où Bran et ses compagnons font halte à Fort Nox.

    Avant de commencer et pour éviter toute confusion, la femme devenue reine du Roi de la nuit est qualifié de « corpse » dans la vo, c’est-à-dire qu’elle est un cadavre, et en outre elle est dite « froide ».

    Devant l’obscurité grandissante, Bran se ressouvint d’un autre des contes de Vieille Nan, le conte du roi de la Nuit. Le treizième homme à avoir conduit la Garde de Nuit, prétendait-elle, et un guerrier qui ne connaissait pas la peur. « Et c’était là son vice, car la peur, ajoutait-elle immanquablement, tous les hommes doivent la connaître. » Une femme avait causé sa perte, une femme entr’aperçue du sommet du Mur et qui avait la peau aussi blanche que la lune et des yeux semblables à des étoiles bleues. Et lui qui ne craignait rien au monde, il la poursuivit, la rattrapa, l’aima, bien qu’elle eût la peau aussi froide que la glace, et, en lui donnant sa semence, il lui donna son âme aussi.

     Il la ramena à Fort Nox et la proclama reine et se proclama lui-même son roi, non sans asservir à sa volonté les frères jurés par des maléfices étranges. Treize années dura le règne du roi de la Nuit et de son cadavre de reine, treize, avant qu’enfin le Stark de Winterfell et le Joramun sauvageon ne se liguent afin d’affranchir la Garde de sa tutelle. Et lorsque, après sa chute, il s’avéra qu’il avait offert des sacrifices aux Autres, on anéantit toute trace de sa mémoire, et son nom même fut proscrit.

     

    Si la légende du Roi de la Nuit évoque les Autres, ils n’en sont pas les personnages principaux : ils ne sont ici qu’une force tentatrice et corruptrice, car celui qui est appelé Roi de la Nuit est bel et bien un humain. Le récit lui-même comporte une dimension symbolique notée par l’apparition à plusieurs reprises du chiffre treize : c’est le 13e lord Commandant de la Garde, et son règne aurait duré treize années. Ce pourrait être le hasard, mais c’est un peu trop beau pour être vrai.

    Ce n’est pas la seule ni la première fois qu’on rencontre ce chiffre, mais ses autres occurrences ne sont pas aussi voyantes et il faut que le lecteur fasse quelques additions pour se rendre compte qu’on parle de treize personnes. Il y a par exemple le Dernier Héros parti avec ses douze compagnons en quête des Enfants de la Forêt pour mettre fin à la Longue Nuit, 12 + 1 = 13, donc. Mais le Dernier Héros est une autre légende. Une autre mention qui n’est pas légendaire, est lorsque Theon Greyjoy a pris Winterfell : il se réveille une nuit, alerté par le silence, pour s’apercevoir que ses otages (Bran et Rickon Stark, « princes de Winterfell » qui ont transmis par droit de conquête leur titre à Theon Greyjoy) ont disparu avec leurs loups et quelques compagnons. Theon monte donc une chasse pour les poursuivre, « onze adultes et deux enfants ». Il partent tous dans le Bois aux Loups pour les chercher. Ils en ramèneront les cadavres de faux Bran et Rickon.

    C’est également une douzaine de survivants qui reviennent de la meurtrière expédition du Lord Commandant Mormont, où les chasseurs sont devenus des proies : l’expédition devait débusquer Mance Rayder, le roi d’Au-delà du Mur. Une douzaine + Samwell Tarly, qui a pris un autre chemin et rencontrera Bran Stark en quête de sa Corneille à Trois Yeux.

    Et puisque nous parlons de chasses et de Garde de Nuit, citons un dernier exemple qui montre comment GRRM aime jouer avec ses propres clichés : il s’agit du nombre de conjurés qui conspirent pour tuer le Lord Commandant Mormont, lors de l’expédition au-delà du Mur, et qui ont été recrutés par Chett, le maître des chiens. Chett en a recruté treize. Lui en plus, ils sont quatorze, et laissons Chett penser :

    Un foutu bordel. Grâce auquel on mettrait des heures à s’apercevoir que quatorze frères manquaient à l’appel. 

    Fauvette aurait eu envie – bien digne d’un Soeurois bouché refoulant le poisson – d’en enrôler deux fois plus. C’te blague ! Pipe mot dans la mauvaise oreille, et t’auras pas fait ouf, que ta tête, hop. Non, quatorze était un bon nombre, assez pour qu’on fasse ce qu’il fallait et pas trop pour que le secret démange certaines langues.

    (Prologue, tome 3 A Storm of Swords)

    Le quatorze ne portera cependant pas bonheur à Chett et ses amis.

    Le chiffre treize semble donc lié aux parties de chasse, et a priori de chasse aux couronnes ou têtes couronnées : le Roi de la Nuit était apparemment lui aussi un chasseur qui avait ramené sa femme-cadavre de la Forêt Hantée, au-delà du Mur, et s’était proclamé roi ensuite. Le prologue dont Chett est le personnage central annonçant en outre l’imminente attaque des Autres et de la horde de morts-vivants au Poing des Premiers Hommes (le chapitre se conclut sur les trois sonneries du cor qui annoncent leur arrivée, préparée par une multitude de signes précurseurs comme le froid particulièrement intense ou l’inquiétude des chiens), le fait de retrouver ce chiffre à cet endroit précis du texte n’est pas innocent : il renvoie aux origines des Autres. Chett pourrait ironiquement rejouer le Roi de la Nuit, ou bien celui qui conspirait à le tuer.

    Vieille Nan s’amusait à préciser l’identité mystérieuse de ce Roi de la Nuit :

    « D’aucuns prétendent qu’il était un Bolton, ne manquait jamais de conclure Vieille Nan. D’aucuns prétendent qu’il était un magnar de Skagos, d’aucuns prétendent un Omble, un Flint, un Norroit. D’aucuns voudraient vous faire accroire qu’il était un de ces Piébois qui gouvernaient l’île-aux-Ours avant l’arrivée des Fer-nés. Il ne fut jamais rien de tel. Il était un Stark, le propre frère de celui qui le renversa. » Elle pinçait alors le nez de Bran, et pas de sitôt, tiens, qu’il oublierait cela. « Il était un Stark de Winterfell et, qui sait ? peut-être bien qu’il s’appelait Brandon… Peut-être bien qu’il a dormi dans ce lit que voici, justement, et justement dans cette chambre-ci… »

    Non, songea Bran, mais il a bel et bien arpenté ce château dans lequel nous allons dormir cette nuit, nous.

    La possible identité Stark de Roi de la Nuit est évidemment la plus intrigante, puisque d’emblée, cela donne aux Stark une ambiguïté qu’ils n’avaient pas tout à fait jusque-là, car les Stark sont bien les premières grandes victimes des manigances de leurs ennemis, dont certains sont franchement détestables : Bran – qui avait alors 7 ans – a été poussé dans le vide par les jumeaux Lannister, Cersei et Jaime; Tywin Lannister père a froidement ordonné à ses chevaliers les plus cruels de ravager le Conflans, avant même que la moindre guerre ne soit déclarée, et plus tard, il a donné son feu vert pour les Noces Pourpres; le roi Joffrey a fait exécuter Eddard Stark, mais surtout a exhibé sa tête sur les remparts du Donjon Rouge (avec la tête de la Septa au service des Stark, celle qui était chargée de l’éducation des filles) et l’a montrée à son otage-fiancée Sansa dans le but de la blesser; Roose Bolton et les Frey ont manigancé les Noces Pourpres pour se débarrasser de Robb Stark et de ses fidèles; Winterfell est pris et brûlé, etc…

    Pour le dire brièvement, les trois premiers tomes racontent la chute des Stark jusqu’au quasi anéantissement, ce qui fait que naturellement, nous n’allons pas spontanément les imaginer dans le rôle de bourreaux. On imagine plutôt tous les Stark sur le modèle d’Eddard : suzerain relativement sévère et sérieux, qui n’hésite pas à appliquer la justice quand les lois l’y obligent, mais qui fait aussi montre de mansuétude et d’empathie, et surtout qui répugne viscéralement à tuer des innocents, a fortiori des enfants.

    Pourtant, le blason des Stark – un loup géant – et la découverte de ces loups géants qui deviendront les animaux fétiches de chaque enfant Stark nous rappelle qu’ils portent aussi en eux une part cruelle et sauvage. Et qu’ils sont des chasseurs. Eux aussi des chasseurs de têtes couronnées (Eddard Stark fomente un coup d’état pour donner la couronne à Stannis qu’il considère comme l’héritier légitime de Robert Baratheon), ou qui récupèrent une couronne, comme Robb Stark, acclamé roi (malgré lui) par ses vassaux du Nord, suivis par les seigneurs du Conflans.

    Les Stark sont-ils sans peur, comme dans l’histoire ? Non. Non seulement ils éprouvent tous autant qu’ils sont de la peur tout au long de leur parcours, mais cette peur est souvent couplée avec une forme de mysticisme, ou de sentiment religieux très ambivalent : les dieux sont tout autant source de crainte que rassurants.

    Cependant, au fil de la saga, d’autres Stark plus anciens et plus ou moins historiques sont cités, dont certains n’avaient rien d’enfants de choeur, ce qui laisse supposer qu’un ancêtre Stark a pu être ce fameux Roi de la Nuit. En renfort de cette piste, nous avons à Fort Nox la légende du chevalier Symeon Prunelles d’Etoiles qui aurait été témoin du combat entre deux chiens infernaux : cela fait écho aux deux frères Stark qui se seraient battus à mort, car les loups géants sont parfois traités de chiens ou bêtes infernales. Symeon était aveugle et avait remplacé ses yeux par des saphirs étoilés, dit la légende, sans toutefois préciser dans quelles circonstances : ses saphirs lui auraient-ils permis – par une sorte de vertu magique liée aux pierres précieuses (c’est récurrent dans la saga) – de voir des choses invisibles à des yeux mortels ? Aurait-il perdu la vue en punition pour avoir surpris par ce combat de créatures issues des Enfers – du royaume des Morts ? Pour avoir transgressé un tabou ?

    Tout cela ne nous dit pas cependant si l’histoire se répète. Or, les Autres réapparaissent, avec les créatures qu’ils animent, et ce serait le moment pour revoir un Roi de la Nuit.

    Du côté des Stark, nous avons un candidat tout trouvé pour jouer ce rôle : Jon Snow, élu lord Commandant de la Garde de Nuit, et qui a passé le Mur, est tombé amoureux d’une sauvageonne et a voyagé avec eux lors de leur périple vers le Mur. Une fois lord Commandant, il travaille à les faire passer au sud du Mur, rompant ainsi avec toutes les traditions de la Garde de Nuit, qui tenait le Mur également, voire principalement, contre ces Sauvageons. Pour l’aider dans cette tâche de sauvetage d’êtres vivants, Jon Snow aurait trouvé une alliée en la personne de Val, celle qui est surnommée « la princesse sauvageonne », que le roi Stannis Baratheon propose même comme épouse à Jon Snow, auquel il rendrait Winterfell et qu’il légitimerait comme un Stark.

    Val a les yeux gris-bleus, elle est belle, et elle est la soeur de Della, la défunte femme de Mance Rayder, le roi d’Au-delà du Mur. C’est au-delà du Mur que Jon a « capturé » Val alors qu’il gardait la tente dans laquelle elle aidait sa soeur à accoucher, en pleine bataille. Par la suite, il n’y a que Jon Snow – « qui n’y connait décidément rien » – pour ne pas se rendre compte que dans les faits et les symboles, il est le prétendant le plus sérieux pour une union avec Val, et la revendique comme sa chasse gardée. Ce « mariage » contribue d’autre part à faire de lui un « roi d’Au-delà du Mur » officieux, comme le démontre l’analyse « Trois Couronnes a le dragon », proposée sur le site de la Garde de Nuit (la symbolique de la royauté suit Jon Snow tout au long de la saga, où il est ou devient héritier de trois couronnes : celle de Robb Stark, celle des Targaryen et celle de Mance Rayder).

    Cependant, Val n’est jamais décrite comme un cadavre, et au contraire, ses joues rougissent avec le froid, démontrant par là qu’elle est bel et bien vivante.

    A la fin du tome 5 A Dance with Dragons, Jon Snow est assassiné par des membres de la Garde de Nuit conjurés – ses frères jurés, ce qui rappelle que dans une version de la légende, le Roi de la Nuit est mort de la main de son frère. En outre, beaucoup d’éléments laissent penser que Jon reviendra de la mort, ce qui ferait de lui une sorte de « roi cadavre ».

    Dans cette version, la légende entière du Roi de la Nuit est à interpréter symboliquement, et Jon Snow pourrait ainsi devenir celui qui a fait entrer le loup dans la bergerie et a contribué à la corruption de la Garde de Nuit, puis à la chute du Mur. Les Autres de la légende ne seraient qu’une manière déguisée de désigner les Sauvageons et tous les « dangers » situés au nord du Mur et qui menacent le « monde civilisé » de Westeros. Elle a d’autant plus de sens que Jon Snow est constamment associé au symbolisme de la royauté, tout au long de son parcours (je renvoie ici à l’analyse proposée à nouveau par la GDN sur Jon et le symbolisme de la royauté ), et que sa part identitaire de loup Stark fait de la nuit la plus noire son domaine de prédilection.

    Mais nous allons voir qu’il y a bien un potentiel autre Roi de la Nuit, avec sa reine, et qui autorise une lecture plus littérale que celle de Jon Snow. Il s’agit de Stannis Baratheon, le frère du feu roi Robert, héritier légitime du trône de fer, mais en guerre contre les Lannister et leurs alliés. Il est le seul des prétendants au trône à avoir répondu favorablement à l’appel au secours de la Garde de Nuit. Et Jon Snow lui attribue comme siège principal… Fort Nox, qui fait alors l’objet de réparations afin de permettre une nouvelle occupation décente.

    (…)il a bel et bien arpenté ce château dans lequel nous allons dormir cette nuit, nous.

    … pense Bran lorsqu’il se souvient de l’assertion de vieille Nan comme quoi le Roi de la nuit était un Stark, et la conteste. Il ne la conteste d’ailleurs pas comme à son habitude, en cherchant une justification : il dit « non » d’emblée, comme s’il savait pertinemment que le Roi de la Nuit n’était pas un Stark.

    Si à la fin du tome 5 A Dance with Dragons Stannis n’a pas encore investi les lieux et est toujours occupé par la reprise de Winterfell aux Bolton et leurs alliés Frey, son épouse et sa fille s’apprêtent à s’y rendre avec leurs propres troupes.

    Mais le parallèle est plus flagrant dans ses rapports avec la « Reine de la Nuit ».

    Stannis est en effet venu jusqu’au Mur avec une certaine Melisandre d’Asshaï, une prêtresse du dieu R’hllor, sa conseillère personnelle depuis quelques mois. Melisandre est de très belle apparence, entièrement vêtue de rouge, au teint blanc laiteux, et ses yeux même sont rouges. Elle est très communément appelée « la dame rouge », ou « la femme rouge ». Ici, le rouge de Melisandre remplace le bleu de la « Reine de la Nuit », mais l’opposition des couleurs est trop parfaite pour ne pas jouer comme un effet de symétrie : la où le bleu de la reine de la nuit correspond au froid, le rouge de Melisandre est celui du feu.

    D’autre part, plusieurs indices montrent que Melisandre n’est pas ce qu’elle parait : elle porte en collier un gros rubis grâce auquel on apprend qu’elle peut changer l’apparence des personnes. C’est ce qui se passe avec Mance Rayder – l’ancien roi d’Au-delà du Mur vaincu par Stannis : Melisandre échange son apparence avec celle de Clinquefrac, un autre sauvageon, et c’est ce dernier qui meurt sur le bûcher à la place de Mance, comme ce sera révélé plus tard à Jon Snow.

    Elle n’a jamais froid et diffuse même à l’occasion une chaleur surnaturelle pour un être humain ordinaire, car elle est capable de faire fondre la glace du Mur en surface lorsqu’elle en est proche, exactement comme le fait une torche. On peut l’attribuer à son sang :

    Un filet de sang courut le long de sa cuisse, noir et fumant. Le feu était en elle, souffrance, extase, il l’emplissait, la calcinait, la transformait. Des ondoiements de chaleur inscrivaient des motifs sur sa peau, aussi insistants que la main d’un amant. Des voix inconnues l’appelaient de temps depuis longtemps révolus. « Melony », entendit-elle crier une femme. Une voix masculine lança : « Lot sept ». Elle pleurait, et ses larmes
    étaient de flamme. Et toujours elle buvait tout cela.

    (Melisandre, Tome 5 A Dance with Dragons)

    Le sang noir et fumant est celui qu’on retrouve pour le chevalier Beric Dondarrion, après sa première mort et lorsqu’il est ressuscité par le « baiser de R’hllor ». Ce sang lui permet même d’enflammer son épée lorsqu’il en fait couler quelques gouttes sur l’acier. Il s’apparente également au sang de feu des dragons de Daenerys. De fait, ce passage suggère que le sang de Melisandre n’est plus celui du vivant ordinaire mais un feu à l’état liquide.

    Plus loin, dans le même chapitre :

    Mélisandre pratiquait son art depuis des années sans nombre, et elle en avait payé le prix.

    A ce stade de la saga, le lecteur a eu l’occasion de voir suffisamment de pratiques magiques pour savoir qu’aucune n’est gratuite, et comme l’affirmait un sauvageon légendaire, le « Seigneur aux Cornes », la magie est une épée sans poignée. Les années innombrables et le prix acquitté qu’évoquent Melisandre laissent assez clairement imaginer qu’elle a bel et bien trouvé la mort il y a très longtemps, et qu’elle a vécu une résurrection magique. C’est confirmé par une nouvelle allusion un peu plus loin, toujours dans le même chapitre :

    De la nourriture. Oui, je devrais manger. Certains jours, elle oubliait. R’hllor lui fournissait toute la subsistance dont son corps avait besoin, mais c’était une chose qu’il valait mieux dissimuler aux mortels.

    Quel âge a donc Melisandre ? Il est difficile de répondre avec précision et on ne peut que lancer quelques hypothèses : son absence  totale de lien avec les autres membres du clergé de R’hllor, en particulier avec celui de Volantis, sur le continent d’Essos (Volantis est un peu la Rome du clergé catholique romain, pour se faire une idée de son importance), alors que celui-ci est comme Melisandre à la recherche de la réincarnation du légendaire Azor Ahai – champion de  R’hllor – et pense l’avoir trouvé en Daenerys Targaryen et ses dragons, fait supposer que Melisandre n’a plus de liens avec ce clergé depuis suffisamment longtemps pour qu’elle soit une totale inconnue pour eux.

    Ce ne serait pas étonnant si Melisandre n’était qu’une vulgaire prêtresse. Cependant, elle se prétend la plus douée de son ordre. Ce qui signifie que si elle a été réputée telle à un moment donné, cela a été oublié depuis.

    Mettons depuis quelques siècles. Et admettons que Melisandre a vécu aux alentours du Fléau, le cataclysme qui a vu la chute de Valyria et son empire esclavagiste, quatre siècles avant la saga.
    Pour le propos présent, il importe seulement de savoir que Melisandre est morte et réanimée, ce qui lui fait un point commun avec la « femme cadavre » qu’est la « Reine de la Nuit » du conte.

    Autre point commun, le lien qui s’est noué avec le roi, que ce soit le Lord Commandant de la Garde de Nuit ou le roi Stannis :

    « Le roi, s’étrangla-t-il d’une voix rauque. Il me faut aller chez le roi. » Car où est le roi se trouvera forcément Mélisandre.

    (Davos II, tome 3 A Storm of Swords)

    Dame Mélisandre ne portait nulle couronne, mais chaque homme ici présent savait qu’elle était la véritable reine de Stannis Baratheon, elle et non la femme sans attraits qu’il avait laissée grelotter à Fort-Levant. On racontait que le roi n’avait point l’intention d’envoyer chercher la reine Selyse et leur fille tant que Fort-Nox ne serait pas habitable.

    (Jon III, tome 5 A Dance with Dragons)

    Le lien est donc celui de roi à reine. Pour couronner le tout, nous apprenons par le chapitre de Melisandre – alors que Stannis est parti pour reprendre Winterfell – que lorsqu’il était encore à Châteaunoir, la prêtresse rouge partageait sa couche régulièrement, car Melisandre évoque justement la couche vide où elle ne se rend plus à présent que le roi n’est plus là.

    Il semble que ces coucheries aient un effet pervers sur Stannis, en le vidant de sa vie, comme s’il subissait une vampirisation de plus en plus visible physiquement :

    Maintenant que Stannis Baratheon avait recouvré sa puissance, les gentillâtres lui bourdonnaient autour comme les mouches sur un cadavre. Il a d’ailleurs une mine de déterré. Il a pris des années depuis mon départ de Peyredragon. Il ne dormait plus guère, selon Devan toujours : « Il est hanté, depuis la mort de lord Renly, par d’effroyables cauchemars. Les drogues du mestre sont impuissantes à l’en délivrer. Seule dame Mélisandre parvient à lui procurer un sommeil paisible. »

    (Davos II, tome 2 A Clash of Kings)

    Les yeux du roi semblaient des ecchymoses bleues, profondément enfoncées dans un visage cave.

    (Jon III, tome 5 A Dance with Dragons)

    En réalité, chaque nouvelle apparition de Stannis le fait paraître de plus en plus cadavérique, jusqu’à la dernière en date, en pleine tempête de neige à Winterfell, où il ne semble plus avoir que la peau sur les os, même si Melisandre ne l’accompagne pas. Le froid et le début de famine qui sévit dans son armée, en plus de ses cauchemars doivent là jouer.

    Ce qui importe cependant, c’est de voir Stannis en quelque sorte contaminé par sa nouvelle reine, la femme rouge et cadavre qu’est Melisandre. Si elle parait toujours aussi belle, c’est lui qui prend à son compte l’aspect mortuaire, rappelant les deux faces d’une pièce de Volantis : une couronne et un crâne. La royauté et la mort. C’est un thème illustré tout au long de la saga, a fortiori par le trône de fer lui-même, siège monstrueux fabriqué avec les épées des vaincus de la conquête de Westeros par Aegon, et qui blesse voire tue ceux qui s’y assoient, tant il est inconfortable et hérissé de pointes.

    Stannis et Melisandre forment donc un couple, et l’habitude qui a été prise d’allumer des feux toute la nuit pour chasser les ombres nocturnes rapproche encore davantage du légendaire lord Commandant, dont la nuit était le royaume. Il ya d’ailleurs ombre et ombre, comme l’explique Melisandre à Davos : celles qu’elle engendre ne peuvent apparaître que la nuit, mais se nourrissent de la lumière et des feux, et c’est ce qui lui fait dire qu’elles sont filles du feu.

    Enfin, la prêtresse rouge a amené avec elle la pratique des feux sacrificiels : les condamnés à mort sont ainsi brûlés mais pour obtenir une faveur divine en échange. C’est ainsi que la première Main de Stannis, après sa trahison, a été brûlée pour obtenir des vents favorables de Peyredragon jusqu’au Mur. Les hommes de Stannis convertis ont également exigé un bûcher pour trois des leurs pris en plein cannibalisme, alors que la famine commence de sévir parmi eux : le but du sacrifice étant de faire cesser la tempête de neige qui semble les avoir bloqués à trois jours de Winterfell, au bord d’un lac gelé.

    Et pour finir, voici les raisons pour lesquelles le roi Stannis a « épousé » Melisandre d’Asshaï :

    « J’ai cessé de croire dans les dieux le jour où je vis La Fière-à-vent se fracasser dans la baie. Des dieux assez monstrueux pour noyer mes père et mère, jurai-je alors, n’obtiendraient jamais mon adoration. A Port-Réal, le Grand Septon me bassinait avec l’ineffable bonté, l’ineffable justice des dieux, mais je n’ai jamais vu dans les dieux que la main des hommes.

    – Si vous ne croyez pas dans les dieux…

    – … pourquoi m’embarrasser de ce nouveau-là ? coupa Stannis. Je me suis demandé aussi. Je sais peu de chose des dieux et ne me soucie guère d’eux, mais la prêtresse rouge a des pouvoirs. »

     (…)

    « J’ai des bateaux…, et je l’ai, elle. La femme rouge. La moitié de mes chevaliers tremblent même à l’idée de prononcer son nom, sais-tu ? Ne fut-elle capable que de cela, une sorcière qui inspire tant de terreur à des hommes faits ne saurait être dédaignée. Un homme effrayé est un homme battu. Et peut-être peut-elle faire davantage. J’entends en tenter l’épreuve. »

    (Stannis à Davos, Davos I, tome 2 A Clash of Kings)

    Stannis – en reniant sa foi aux dieux et en prenant à son service une sorcière qui fait peur à des hommes – montre qu’il ne connait pas la peur, surtout pas la peur « religieuse ». En revanche, il se sert de cette peur et de la dévotion qu’inspire la prêtresse rouge pour s’attacher les fidélités. Ainsi, comme le Roi de la Nuit, il « a asservi à sa volonté » ses soldats, « par des maléfices étranges ».

    La suite de l’histoire, qui voit la défaite du Roi de la Nuit contre le Stark de Winterfell exceptionnellement allié au roi sauvageon Joramun, n’est pas encore écrite. Il n’y a plus de Stark à Winterfell à l’époque de Stannis – qui s’est en outre pris d’amitié pour Jon Snow et lui a proposé de le légitimer pour reprendre le fief de son père officiel Eddard Stark. A la fin du cinquième tome A Dance with Dragons, il s’apprête d’ailleurs à la bataille contre les Bolton qui occupent Winterfell.  C’est également Stannis qui – bien qu’ayant vaincu les Sauvageons – leur a permis officiellement de franchir le Mur et de s’installer au sud. C’est enfin lui qui – écoutant les conseils de la prêtresse rouge – entend sauver le royaume de Westeros des Autres.

    Peut-être est-ce là toute l’ironie de GRRMartin, que celui qui permettra aux Stark et aux Sauvageons d’être sauvés leur devra aussi sa propre chute. Ils récolteraient les meilleurs fruits qu’il aurait semés mais auxquels « les dieux » ne lui permettraient pas de goûter. Et la légende d’un Roi de la Nuit pourrait se (re)jouer au prix de quelques entorses à la réalité des faits. Mais après tout, la mémoire du personnage de la légende a été délibérément effacée, si bien que plus personne n’est capable de dire ce qui s’est réellement passé… et puis ce ne serait pas la première fois que des chanteurs transforment la réalité.

    On pourrait également se demander pourquoi les « dieux » le puniraient après s’en être servi dans leurs desseins ? Qu’a donc fait Stannis pour mériter telle malédiction ? J’y reviendrai, mais plus tard. Revenons d’abord aux légendes de Fort Nox.

    En tous les cas, cette analyse des résonances que trouve l’histoire du Roi de la Nuit dans la saga nous a permis de voir les nombreuses perspectives qu’elle ouvre et sa longue portée symbolique. Je pense que nous pouvons nous attendre à revoir une autre forme de cette histoire plus tard, liée aux Stark et leur véritable histoire, celle de l’origine de la royauté des loups. Une histoire en lien avec l’origine des Autres, et qui aurait été délibérément passée sous silence puis oubliée… par l’érection du Mur.

     

    Voilà. Il y a un troisième parallèle que je pourrais ajouter à présent, bien qu’il soit un peu plus ténu (on y retrouve cependant les mêmes thématiques), c’est celui avec le couple Robert Baratheon et Cersei : le roi Robert est l’Usurpateur, c’est aussi un grand chasseur et Cersei reste pour lui très froide (un corps froid, comme il le confie à Eddard dans les cryptes de Winterfell). Et il me semble que leur mariage a 13 ans quand commence la saga.

     

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