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Entretien avec… Jérôme Vincent, le directeur des éditions ActuSF

Entretien avec… Jérôme Vincent, le directeur des éditions ActuSF

Lors des Imaginales 2021, la Garde de Nuit a eu la chance de rencontrer des acteurs et actrices de la fantasy et de l’imaginaire. Nous avons ainsi pu leur poser quelques questions concernant leur perception de l’œuvre de George R. R. Martin et son impact sur le monde de l’écriture. Dans les semaines qui viennent, nous vous proposerons donc une retranscription de leurs propos passionnants et leurs perspectives uniques sur les écrits du Trône de Fer et sur la série qui en est dérivée.

Aujourd’hui, nous rencontrons Jérôme Vincent, le directeur des éditions ActuSF. Passionné d’imaginaire, il porte un regard professionnel et aguerri sur le marché de l’imaginaire en France. Il est également rédacteur d’actualités sur la littérature de l’imaginaire sur le site Actusf.com et est à l’origine de l’observatoire de l’imaginaire, une initiative qui vise à mieux cerner le profil du lectorat des genres de l’imaginaire (science-fiction, fantastique, fantasy…), et les pratiques littéraires associées.

GdN : Quel est votre rapport à l’œuvre de George R.R. Martin ?

Jérôme Vincent : Je suis un ancien lecteur, notamment du Trône de Fer dans les années 2000.

Jérôme Vincent

Puis on est devenus éditeurs par pleins de canaux différents, et il se trouve qu’en 2010, on a voulu monter une collection de Science Fiction étrangère. Donc, on est avant qu’il y ait Game of Thrones. C’est là que je tombe sur Le Volcryn, et je trouve ça quand même vachement bien ! On sort finalement deux titres : il y avait un titre de Silverberg et ce titre de Georges R.R. Martin.
Et c’est comme ça que je me suis mis à découvrir l’autre œuvre de Martin. J’avais lu Riverdream avant [NDLR: œuvre retraduite par Pygmalion sous le titre Rêve de Fevre], et voilà.

Mais du coup, je suis un lecteur, mais un lecteur aussi éditeur : lecteur du Trône de Fer d’abord, éditeur ensuite, et je découvre qu’il y a plein de romans, de nouvelles qui sont extraordinaires avant Le Trône de Fer. Je découvre que c’est un auteur, notamment en Fantastique, qui est très très bon parce-qu’il a l’art de la concision et du malaise, ce qu’on ne trouve pas si souvent. Et c’est comme ça qu’on va se retrouver à sortir ses livres, on en a fait sept avec lui.

GdN : ça a été compliqué d’avoir les droits de Martin ?

JV : Alors non. Non, et je vais remercier l’agence Lenclud pour cela.
En fait, à l’époque, et même quand Le Trône de Fer (enfin Game of Thrones) a explosé, le reste de l’œuvre marchait beaucoup moins, donc les autres écrits de Martin intéressaient moins Pygmalion et J’ai Lu.
De fait, on est les seuls éditeurs à pouvoir aller chercher ces trucs. Comme c’est en plus l’agence Lenclud (qui étaient des gens merveilleux et qui prennent leur retraite actuellement) qui gérait la relation, on arrivait à négocier de manière assez simple. Pierre Lenclud me disait « Ecoutez, Jérôme, Le Trône de Fer, évidemment c’est pas possible. Pour le reste, on voit. » Et comme en plus on leur proposait de sortir des choses qui n’existent pas aux États-Unis, c’est-à-dire des recueils de nouvelles avant qu’ils ne sortent la grosse grosse intégrale R.R.étrospective, ben on passait un peu sous les radars de Pygmalion…
Donc c’était pas très difficile. Evidemment, il fallait monter un peu le prix des droits, mais ce n’était rien d’impossible, assez étonnamment.
Et on a fait le même coup avec Robin Hobb, par exemple. En gros, on a des auteurs qui cartonnent sur une série, et le reste est parfois un peu délaissé, alors que ça peut être de très bonne qualité, et c’est intéressant pour tout le monde de faire vivre ça.

GdN: C’est vrai que c’est grâce à vous qu’on a une bonne partie des œuvres de Martin.

JV : En fait il y a un truc de fou, c’est que quelque chose comme Skin Trade n’avait jamais été traduit ! On le sort en 2012 ou 2013, quelque chose comme ça [NDLR : 2012], alors que c’est un World Fantasy Award. C’est un court roman, mais c’est plutôt pas mal.
Le Volcryn, ç’avait été plutôt assez confidentiel. Il y avait plein de choses qui restaient. Donc il a fallu aller chercher et proposer.

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Note de la Garde de Nuit :
A ce jour, ActuSF a publié 4 recueils, et 3 romans :

  • Dragon de glace (2011)
  • Au fil du temps (2013)
  • La Fleur de verre (2014)
  • Nightflyers et autres récits (2018)
  • Le Volcryn (2010)
  • Skin Trade (2012)
  • Le Voyage de Haviland Tuf (2020)

N’hésitez pas à consulter la liste des nouvelles de George R.R. Martin disponibles en version française pour plus de détails.
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Au Fil du Temps, Dragon de Glace, et La Fleur de verre sont des recueils que l’on a composés nous-mêmes. C’est nous qui avons dit qu’on voudrait que ces nouvelles-là soient dans tel recueil pour X ou Y raisons.
Puis, on a publié Le Volcryn . Quand arrive la série Nightflyers, l’agent me dit : « Bon Jérôme, vous êtes l’éditeur du Volcryn en France. Sachez que l’éditeur anglais a refait la version originelle du recueil Nightflyers publié aux États-Unis, donc on le vous propose en exclusivité, .. si vous payez (rires). Et comme ça vous pourrez vous vanter d’avoir le livre adapté de la série. »

GdN : Et du coup, avez-vous vu avec la série une augmentation des droits de vente ?

JV : Oui. Le déroulé des choses est assez simple : on sait que la sérieNightflyers arrive, le tournage, patin-couffin ; l’agent propose le recueil de la série, donc on va pouvoir dire à la FNAC « Mettez-nous en avant, on a le livre de la série dérivée des œuvres de George », et du coup à ce moment-là il y a une négociation. Pour les contrats d’auteurs, on achète les droits, et un pourcentage, et on verse un avaloir. Et c’est sur l’avaloir souvent que les choses se font… Sur le pourcentage, ils ne sont pas très gourmands. Là on savait qu’il y avait la série, et du coup on a dû mettre un chèque un peu plus gros. Mais on avait la chance, encore, d’avoir Pierre Lenclud qui était vraiment adorable, donc (rires) on a eu des choses raisonnables.

GdN : Est-ce que vous envisagez de publier d’autres recueils ou d’autres nouvelles de Georges RR Martin ? Parce qu’il y en a encore quelques-unes qui sont inédites. Plus beaucoup, mais il en reste quelques-unes.

JV : Ouais, mais alors le problème des inédites, c’est de savoir si elles sont rattachées au Trône de Fer ou pas. Si elles sont attachées au Trône de Fer, non. Après les inédites, il faudrait que je m’y penche pour pourquoi pas refaire un recueil. Moi, ce que je voudrais, c’est de toute façon faire vivre le fond George R.R. Martin. C’est pour ça qu’on a ressorti Skin Trade et moi je voudrais bien qu’on continue. Il faudrait que je me penche sur les dernières inédites.

GdN: Skin trade et Haviland Tuf ont bénéficié d’éditions collector. Est-ce qu’il y en a d’autres que vous prévoyez ?

JV : Ben .. après, il n’y a pas tant de romans que ça qui restent !
Il y a Armageddon Rag, faudra voir si les droits sont dispo, il y a Rêve de Fevre … je ne suis pas sûr que celui-là soit faisable, il vient d’être réédité. Et ils ont sorti il n’y a pas longtemps chez Pygmalion une intégrale des nouvelles [NDLR : R.R.Étrospective]. Mais maintenant que c’est passé, on va pouvoir s’interroger sur l’opportunité de faire un joli recueil de nouvelles. Dragon de Glace c’est un peu petit, Au Fil du Temps et La Fleur de Verre, ça ce sera peut-être possible.

GdN: Vous avez le droit de remixer ? Ou alors il faut passer par l’agent ?

JV : On reprend par l’agent. Si je reprends un titre existant en hardcover, normalement ça ne devrait pas poser de problème ; par contre si je veux remixer ou reproposer, il faut passer par l’agent.

GdN: Et vous n’avez pas de contact direct avec George Martin, tout passe par l’agent ?

JV : Non, pas de contact direct avec Martin. Mais moi je l’ai rencontré une fois. Vous voulez que je vous raconte l’anecdote ? Je la raconte à tout le monde…
George R.R. Martin vient au Festival du Film de Neuchâtel… Or j’avais échangé brièvement avec lui deux ans auparavant. Je lui avais proposé une interview et, déjà à l’époque, il n’avait plus le temps. Mais je me suis dit “Bon, je veux aller à Neuchâtel.”. Neuchâtel se présente et on envoie un mot à l’agent, et il me propose une interview de 45 mn. Et donc on arrive au palace de Neuchâtel, son assistante vient nous voir, elle me dit « Bon ben voilà on va aller dans la suite de George »
« … Très bien ! » (rires)
On rentre dans une suite, elle fait peut-être 120 m², elle est magnifique, il y a un télescope en cuivre… et puis nous on rentre un peu doucement (si ça se trouve, y a George en slip à côté, quoi) (rires) et son assistante, elle nous dit (voix douce) : «Non, non, c’est juste pour les interviews et les dédicaces ».
Puis il est arrivé. On avait obtenu le droit de faire dédicacer des bouquins, donc on lui avait amené des livres…
Et c’est marrant, il se foutait complètement de ce qu’on avait fait, genre alors vraiment Skin Trade, aucune émotion. Par contre il y avait l’anthologie hommage à Jack Vance qui s’appelle Chansons de la Terre Mourante. Alors là, pour le coup, il l’a regardée sous toutes les coutures, il a posé des questions. C’était plus facile de discuter avec lui sur l’hommage à Jack Vance que sur ses propres textes à lui qu’il connaît par cœur. Des éditions de Skin Trade, il en a de quoi remplir la pièce, quoi !

GdN: Il est tellement heureux de parler de ses passions, il a un côté très mécène. Là, en ce moment, il produit des séries adaptées, dont une de Roger Zelazny. Avant d’être un auteur, c’est un fan de fantasy et de science fiction, et il aime quand on parle des auteurs pas assez connus.

JV : Oui tout à fait. Il était charmant et ça s’est très bien passé, hein… mais vraiment ses yeux ont brillé sur l’hommage à Jack Vance, plus que ce qu’on faisait de ses propres livres. C’était rigolo !

GdN: Alors du coup il a vu les jolies éditions de Skin Trade et Tuf, les fameux hardback ?

JV : Alors non. C’était en 2014, on avait pas encore fait de hardback à ce moment-là. On les a envoyés. Mais après… il est dans une autre dimension. Je ne peux pas me vanter d’avoir un contact privilégié avec lui. Il sait qu’on existe, et voilà.

GdN: Et du coup, vous qui avez une vision sur la Fantasy, la Science Fiction en France, avez-vous vu un effet Game of Thrones, un effet Martin sur les ventes ?

JV : Non. (Là je vais mettre ma casquette Observatoire de l’Imaginaire). On a des ventes globales d’Imaginaire qui sont relativement stables, légèrement érodées mais elles sont relativement stables sur les 10-15 ans qui viennent de s’écouler. Bon évidemment il y a un effet Trône de Fer sur le Trône de Fer, mais même sur les livres de George R.R. Martin à côté, il y a pas d’effet. Il n’y a pas de ruissellement, ça ne marche pas.

Alors, ça ne veut pas dire que ça ne fait pas quand même d’un peu meilleurs chiffres de mon côté, mais Martin chez nous, c’est 2 000-2 500 exemplaires quand ça se passe bien. Le Trône de Fer c’est plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Les autres titres, c’est pas aussi simple que ça, quoi. Je pense que les libraires notamment ne connaissent que le Trône de Fer et pas le reste de la production, et c’est dommage, parce qu’il y a des choses vraiment très chouettes.

GdN: Vous avez une œuvre préférée dans les ‘autres’ Martin ?

JV : Je suis assez fan de Portrait de famille, dans l’anthologie Dragon de glace. C’est une nouvelle où un auteur reçoit ses personnages dans son salon. Elle est assez malaisante. Dans ce recueil-là, il y a aussi L’homme en forme de poire, qui est extraordinaire.
On a aussi publié, dans La Fleur de verre, Les Hommes aux aiguilles, une nouvelle totalement paranoïaque sur des gens qui viendraient vous faire une piqure pour vous faire mourir. Génial !

Je trouve aussi que Skin trade est très malin comme roman, et notamment la fin est un twist très chouette.

Je trouve que vraiment, Martin a l’art de la concision. Et le fantastique, il le fait vraiment terriblement bien. Sa SF aussi est très chouette, mais je trouve que vraiment sur le fantastique, il est super fort. Il a un petit côté parfois Stephen King. J’aimerais bien qu’il finisse vite le Trône de Fer et qu’il fasse encore d’autres trucs !

Mais il a tellement d’activités… En production télé, j’aimerais bien aussi qu’il fasse vraiment Qui a peur de la mort de Nnedi Okorafor, qui est chez ActuSF.

D’ailleurs c’est une histoire rigolote. J’ai lu le roman quand c’était publié chez Panini. On lui a même donné le Prix imaginales, et j’étais dans le jury à ce moment-là. Et en 2015, on discute avec David Camus, un copain agent, et il me dit “tu sais, j’ai Nnedi Okorafor au catalogue, dont Qui a peur de la mort si tu veux, les droits sont tombés.” On négocie ça une bouchée de pain, et 3 mois après, il y a l’annonce HBO qui arrive. Le Graal !

GDN : Sur le même registre, finalement Nightflyers a été un bide. Comment vous l’avez vécu ?

JV : Tu joues au loto et au lieu des 6 numéros, t’as les 3… Au lieu d’avoir 10 millions d’euros, t’as 3.60 euros ! Et tant pis.

Quand tu es éditeur, tu es investisseur culturel, et tu sais qu’un truc qui peut te faire exploser, c’est une série télé. Pour Nightflyers, on a acheté les droits mais très vite, on a commencé à nous dire “aaah c’est sur Syfy, y a pas trop de thunes”. Ça sentait pas très bon. On a quand même joué le jeu avec les libraires, on a fait une grosse grosse mise en place, la plus grosse de notre histoire. Mais on en a vendus moins de 3000 exemplaires. The Witcher, ils sont à plus de 100 000 exemplaires, pour donner un ordre d’idées.

A un moment, tout ce qui portait le nom Martin était acheté. Mais tout ne marche pas et ne se vend pas, il n’y a pas d’effet Martin. C’est une question de ruissellement. Par exemple, quand il y a une actualité Stephen King, tous les livres d’horreur ne se vendent pas mieux, quand il y a une actualité Star Wrs, tous les livres de Science Fiction ne remontent pas. Dune va bénéficier à Dune, Le Seigneur des Anneaux va bénéficier au Seigneur des Anneaux. Il n’y a pas forcément de report. Il y en a un petit peu, mais ça doit être un ordre de grandeur de 1 pour 1000, ou 10 000 ou 100 000. Mais il faut l’analyser sur des mécanismes commerciaux et sur une offre, notamment séries, qui est tellement grande que le public passe à autre chose très vite. On regarde The Witcher, on se dit c’est cool, éventuellement on lit The Witcher, mais après on passe à autre chose.

GDN : Y a-t’il un effet Martin sur la façon dont écrivent les gens en fantasy, dans les manuscrits que vous recevez ?

JV : Il y a eu un effet. Mais je trouve que l’effet est moindre aujourd’hui. Et c’est pas plus mal. Il y a eu des gens qui se sont lancés dans des choses très ambitieuses, je pense à Olivier Péru par exemple, avec beaucoup de personnages, beaucoup d’ampleur. Faut-il avoir le souffle et faut-il avoir la surface commerciale.

Aujourd’hui ça s’est un peu tassé. De manière générale la hype Trône de Fer s’est un peu tassée de toute manière. Mais on va voir avec les spin-off ce que ça donne. En tous cas, il y a eu un effet de mode. D’un seul coup, ça permettait de dire “regardez j’ai un truc de fantasy très vaste, très compliqué, très politique, très sociétal à vous proposer”. Les éditeurs avaient l’oreille attentive. Mais embarquer des gens aussi longtemps dans une série, aussi dynamique, sans la caution d’une série télé, ça marche pas forcément.

Et après la saison 8, et comme il n’y a toujours pas de suite, les réactions positives au Trône de Fer se font plus rares. Je suis surpris de voir, quand on poste sur le site de news ActuSF des actualités en rapport à Martin, à Game of Thrones ou au Trône de Fer, les réactions qu’on reçoit : “aah faut qu’il finisse”. Mais Neil Gaiman l’a très bien dit : « GRRM is not your bitch« , George R.R. Martin c’est un auteur, qui écrit et il fera bien ce qu’il veut. Faut-il encore qu’il y arrive, c’est quand même un exercice intellectuel assez intéressant de finir une œuvre que le cinéma a déjà fini. Avec de telles attentes, il y a d’autres gens qui se sont cassé les dents.

GDN : En tant qu’éditeur, quel est votre rapport aux communautés de fans ?

JV : En tant qu’éditeur, évidemment ça m’intéresse d’avoir des gens qui sont spécialistes, en termes de surface de vente et de communication. C’est très prosaïque.

Ce qu’il y a de très intéressant en France, c’est qu’il y a des gens qui sont assez fans et assez spécialistes pour pouvoir aller gratter assez loin dans l’offre. On fait des monographies, on a notamment fait une monographie Ursula Le Guin. Je pense qu’on pourrait faire une monographie sur George R.R. Martin un jour. Mais je ne suis pas sûr de trouver assez de spécialistes sur d’autres auteurs et autrices. Je ne sais pas si je serais capable de faire aujourd’hui un volume sur Robin Hobb par exemple. Elle est très peu étudiée. Et c’est en ça que les communautés de fans sont intéressantes : pouvoir trouver des fans qui ont réfléchi à l’œuvre, pour pouvoir gratter un certain nombre de choses.

GDN : Vous qui êtes un acteur de l’imaginaire en France, êtes vous touché par un certain snobisme culturel très français autour de l’imaginaire?

JV : Oh on vit avec hein ! Je suis chef d’entreprise, je suis fan d’imaginaire. Ce qui m’intéresse, c’est que mes livres se vendent.

Il y a un snobisme, parfois aussi une méconnaissance, donc on a enclenché un certain nombre d’actions sur le mois de l’imaginaire, sur l’observatoire de l’imaginaire, pour montrer en fait ce que c’est, et pour mesurer les choses. Par exemple j’entendais beaucoup “on nous méprise dans la presse” mais fallait-il bien pouvoir le mesurer, compter le nombre d’articles dans les médias généralistes. Donc on fait un travail pour comprendre l’écosystème et comprendre la perception. Après bon… si des gens nous aiment pas, ils nous aiment pas, relativisons !

Il y a aussi de la méconnaissance. Je trouve ça dommageable. J’ai des libraires qui me disent “j’ai pas de public”. On est en train de faire une étude de lectorat pour pouvoir dire “ben en fait regarde sur ton public, de 40 à 50 ans, on a 25% de lecteurs d’imaginaire”. Il y a du public.

GDN : Est-ce que la multiplication des séries populaires d’imaginaire (Harry Potter, Game of Thrones, Le Seigneur des Anneaux…) n’a tout de même pas permis de démocratiser un peu l’imaginaire ?

JV : Il faut comparer ce qui est comparable. Dans les années 90, la revue Univers s’arrête parce qu’elle passe sous les 30.000 exemplaires. Aujourd’hui à 30.000 exemplaires on fait une teuf pas possible. Aujourd’hui quand on vend un bouquin à 2000/3000 exemplaires c’est déjà beau. Donc quand on parle de démocratisation, il faut faire attention à ce qu’on dit.

Ce qui est sûr c’est que l’univers devient de plus en plus geek. Et il y a un renouvellement de génération chez les libraires, les journalistes, etc. Personne ne peut ignorer que les gros succès populaires viennent de la littérature de genre. Et à partir de ce moment là, tu peux toujours dire la fantasy c’est nul… mais Game of Thrones restera quand même la série la plus téléchargée. Donc c’est important d’avoir les instruments pour mesurer tout ça, c’est important d’avoir des universitaires, c’est important d’avoir un observatoire, c’est important de mettre en place un certain nombre de choses. On est dans un univers geek, tout le monde s’en rend compte et le mépris ou la méconnaissance n’ont plus rien à voir par rapport au début des années 2000 ou fin 90 quand je suis arrivé dans le milieu.

Quand les Utopiales regroupent 100 000 personnes et les Imaginales des milliers, on ne peut pas dire “boah c’est un truc qui intéresse pas les gens”. Si.. la preuve ! Hervé le Tellier, avec L’Anomalie, il a eu le prix Goncourt,

GDN : Oui mais justement, Hervé le Tellier, avec L’Anomalie, se défendait à corps et à cris d’avoir écrit un récit d’imaginaire.

JV : Oui pas de bol, mais ça en est ! Il ne suffit pas de se cacher pour que le dragon n’existe plus ! De facto, ce roman, c’est de l’anticipation.

En fait c’est gênant mais pas tant que ça. Je trouve que ça s’ouvre de plus en plus. Le succès transmédia (dont le jeu vidéo qui y participe aussi) fait que pour les gens, il n’y a plus de soucis par rapport à la SF ou la fantasy. J’espère qu’on est dans une voie de légitimation comme l’est aujourd’hui le polar.

Mais souvent, on a des réflexes, nous acteurs du milieu, à se dire victimes et à s’autocensurer, en se disant qu’on ne va pas y aller. Il y a quelques années, ActuSF avait envoyé des livres au Goncourt, ils ne nous ont pas claqué la porte au nez en fait. Certes, ils ne nous ont pas primés, d’accord, mais il n’y a que nous qui créons nos propres barrières.

Après il faudrait un grand prix encore plus connu que le Grand prix de l’Imaginaire. Par exemple, il faudrait que Elle, le magazine, qui aujourd’hui fait une catégorie polar dans son prix des lectrices, fasse une catégorie imaginaire.

Il faut démonter un certain nombre de perceptions, démonter un certain nombre de ressentis, et pour ça il faut des chiffres et il faut qu’on bosse nous-mêmes.

On peut penser aussi au mois de l’Imaginaire : c’est 35 éditeurs qui se mettent ensemble sur un mois. C’est aujourd’hui des masterclass pour des libraires non spécialisés. C’est un outil assez intéressant.

GDN: Quel titre d’ActuSF recommanderiez-vous aux frères et sœurs de la GDN ?

JV : Il faut aller lire du Jean Laurent Del Socorro. Vous retrouverez sinon une partie des enjeux sociaux et politiques chez Isabelle Bauthian. Ce sont nos deux auteurs phares qui devraient plaire aux lecteurs du Trône de Fer.
Et je pense que vous pouvez tenter La machine de Katia Lanero Zamora, une allégorie de la guerre d’Espagne, et donc qui porte sur des fondements historiques et a beaucoup d’enjeux sociaux et politiques que Georges, je pense, ne renierait pas.

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